La Sibylle De La Révolution
instant la tentation
d’enlever son bandeau. Non, ce devait être une nouvelle épreuve ! On jaugeait
son obéissance. Il resta donc immobile, de plus en plus impatient.
Puis tout changea. Il entendit
comme des cris au loin, des cris d’âme damnée. Était-il dans l’antichambre de
l’enfer ? En tout cas, c’est ce qu’on voulait lui faire croire.
Enfin, des pas retentirent. On
lui retira son bandeau. Deux personnages masqués et vêtus de longues robes
noires l’encadraient.
— Suivez-nous !
Il se leva et obtempéra. Ils
étaient dans un très vaste souterrain à peu près obscur. Néanmoins on avait
disposé sur le sol de nombreuses bougies qui délimitaient un chemin. Il devait
le suivre et avança donc. Le sentier lumineux menait jusqu’à un autre
souterrain qu’on atteignait en franchissant une voûte à moitié écroulée. Juste
avant le passage, les deux hommes s’arrêtèrent.
— Enlevez vos vêtements.
Ils n’avaient pas l’air de
plaisanter, aussi obéit-il et se retrouva-t-il rapidement nu et frissonnant
dans cette cave située Dieu seul savait où.
Une fois ses vêtements
disparus, un des deux servants lui attacha autour du front un ruban chargé de
caractères argentés entremêlés à la figure de Notre-Dame de Lorette.
— Allez !
Frigorifié, les pieds blessés
par les cailloux, il entra dans la deuxième salle. La voûte s’élevait beaucoup
plus haut. Tout de suite, il remarqua devant lui sept candélabres, comprenant
chacun sept cierges et derrière, sur une petite butte, l’autel.
Tout au moins, c’est ce qu’il
supposa car il s’agissait ni plus ni moins que d’un amas d’os, disposés selon
une forme vaguement rectangulaire. Autour, des hommes attendaient, habillés
comme les deux servants, ils étaient masqués eux aussi.
— Arrêtez-vous.
L’un de ses deux mentors prit
une sorte de bol contenant un liquide sombre. Très vite, Sénart comprit que
c’était du sang, notamment lorsqu’on commença à lui dessiner des signes sur le
corps. Des croix. Une multitude de croix.
Les cris s’élevaient toujours
au loin. Puis une sorte de lumière apparut sans qu’il sache d’où elle venait. À
cette occasion, il se rendit compte que les murs de ce sanctuaire souterrain
étaient tendus de voiles noirs où l’on avait dessiné des flammes rouge sombre.
Il y eut des éclairs, un bruit
assourdissant, des étincelles lumineuses. Il se protégea la figure alors qu’une
voix – celle de dom Gerle mais amplifiée un millier de fois – retentissait :
— Au nom du fils de Dieu
crucifié, jurez de briser les liens charnels qui vous attachent encore à vos
père, mère, frères, sœurs, épouse, parents, amis, maîtresse, roi, chef,
bienfaiteur et à tout chef quelconque à qui vous aurez promis foi, obéissance
ou gratitude ou service.
« Maudissez le lieu qui
vous a vu naître pour exister dans une autre sphère où vous n’arriverez
qu’après avoir abjuré ce globe empesté, vil rebut des dieux.
« De ce moment, vous êtes
affranchi du prétendu serment fait à la patrie et aux lois.
« Honorez et respectez
Vaqua Tophana [2] comme
un moyen sûr, prompt et nécessaire de purger le globe par la mort ou par l’air
hébété de ceux qui cherchent à avilir la vérité ou à l’arracher de vos mains.
« Fuyez l’Espagne, fuyez
Naples, fuyez toute terre maudite. Fuyez la tentation de révéler ce que vous
entendrez car le tonnerre n’est pas plus long que le couteau qui vous atteindra
en quelque lieu…
À ce moment-là, les deux
servants jetèrent devant lui les habits qu’il leur avait laissés.
Instantanément, ceux-ci s’enflammèrent, produisant une épaisse fumée
rougeoyante qui le fit éternuer. Il tenta de se protéger la figure, mais l’un
des hommes lui prit le poignet et ordonna :
Selon Voltaire, le poison
venait de « la bave d’un cochon rendu enragé en le suspendant par les
pieds la tête en bas, et en le battant longtemps jusqu’à la mort ».
— Regardez !
Une figure jaillit des flammes.
Effrayante, ignoble. Une créature venue de l’enfer. Semblable à l’ombre qu’il
avait aperçue à deux reprises mais beaucoup plus nette cette fois-ci. En fait,
il en distinguait le moindre détail. Et cette chose ressemblait étrangement à
la créature naturalisée de la rue des Cornes sauf qu’elle était
indiscutablement vivante. D’ailleurs, elle leva les bras vers lui comme pour
l’attraper et poussa un
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