La Sibylle De La Révolution
nos pas ?
Le ciel, au-dessus de nos têtes, nous le voyons à chaque instant. Il est
rassurant, protecteur, sauf lorsque la foudre s’abat. Nous connaissons ses
humeurs et les messages qu’à travers lui le Très-Haut nous envoie. Mais
pourquoi, sous mes pieds, s’ouvrait comme un immense puits sans fond ? Il
semblait qu’aucune lumière ne puisse l’éclairer. En vain, une étoile brillante
tomba du ciel et au bout d’un très bref instant, elle disparut comme happée par
toute cette noirceur. Où était Idraël, où était l’ange de la Terre, où était
notre protecteur ? L’obscurité montait des profondeurs et se répandait sur
la Terre. Je reculai précipitamment mais rien ne pourrait me sauver de cette
nuée obscure. Alors, je compris : une armée allait surgir portée par ces
ténèbres sans nom, une armée qui allait poursuivre le genre humain, le
torturer, le massacrer. L’armée envoyée par le Dieu vengeur pour punir les
hommes de s’être écartés de son chemin. Je me jetai à terre avec un cri. Le châtiment
ne pouvait être si redoutable !
« Idraël, où es-tu ?
Protège-nous ! Protège les hommes, protège la France ! »
Alors, du gouffre, surgit une
nuée de créatures mortelles qui vrombirent autour de moi.
« Les
sauterelles ! »
Car je les avais reconnues. Les
sauterelles annoncées par l’Apocalypse. Or ces insectes étaient semblables à
des chevaux préparés pour le combat. Elles avaient sur la tête des couronnes
qui paraissaient d’or, et leurs visages étaient comme des visages
d’hommes ; elles avaient des cheveux semblables aux cheveux des femmes, et
leurs dents étaient comme celles des lions ; elles avaient des cuirasses
de fer, et le mouvement de leurs ailes faisait un bruit de chariots à plusieurs
chevaux qui courent au combat. Leurs queues étaient identiques à celles des scorpions ;
elles y avaient des aiguillons. Leur pouvoir fut de nuire aux hommes durant
cinq mois.
Une trompette sonna et je vis
leur roi, l’ange de l’abîme, appelé, en hébreu, Abaddon, et en grec, Apollyon,
c’est-à-dire, l’exterminateur.
Il me lança d’une voix affreuse
qui résonnait comme les cris des damnés de l’enfer :
« Sibylle, Idraël ne
viendra pas. C’est moi que le Tout-Puissant a envoyé pour guérir cette planète
de ses maux. À l’aide de mes légions, je nettoierai ce pays autrefois prospère,
pieux et aujourd’hui idolâtre et corrompu, de la vermine qui le ronge. Ils
tomberont tous, chacun son tour, les misérables, les parjures, les massacreurs
de roi, les égorgeurs du peuple ; ils tomberont tous ceux qui ne sont pas
parvenus à stopper la grande honte, par lâcheté, par cupidité ou simplement par
indifférence. Tous seront précipités dans la géhenne, tous seront mes sujets et
ils vivront le châtiment éternel. »
Je m’écriai en larmes :
« Ne fais pas cela, aie
pitié ! Il existe parmi tous ceux-là des hommes bons et respectueux de la
parole de Dieu. Ne tue pas ceux-là, ne les précipite pas dans
l’abîme ! »
Mais déjà, entouré de sa
funeste armée, il s’était envolé pour répandre sur la Terre massacre et
infamie. Je me réveillai en pleurant.
« Seigneur, pardonne-moi,
pardonne-nous tous ! »
Pour Marie-Adélaïde, la
découverte de Paris fut un véritable choc. Les petites médiocrités, les
jalousies, les rancœurs qu’elle avait connues à Alençon n’avaient guère marqué
son âme d’enfant, trop pure pour les comprendre. Au couvent, elle avait eu un
premier contact avec le mal qui peut naître parfois dans les pensées ou les
actions humaines. Mais il restait au moins à l’échelle de sa compréhension. À
Paris, ce fut comme si un déluge de noirceur l’accablait d’un coup. Lorsqu’elle
rejoignit la boutique de son beau-père, une fièvre la prit et elle resta quinze
jours au lit, entre la vie et la mort. Dès qu’elle reprenait conscience,
d’immondes visions l’atteignaient :
« Mon mari n’est pas là ce
soir, viens me rejoindre.
— Ton mari n’est qu’un butor,
il finira par nous découvrir et ce sera la fin.
— Ne t’inquiète pas, j’ai de
quoi abréger ses jours. La vieille de la rue des Lingères m’a donné une potion.
Je lui en donnerai un peu tous les jours pour que sa santé se dégrade et que personne
ne s’étonne d’une mort soudaine. »
Et elle assistait à la lente
agonie du paisible bourgeois.
« J’attends un enfant,
c’est la
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