La Sibylle De La Révolution
vu. Il n’y a aucun moyen d’y
échapper. D’ailleurs, ne vous inquiétez pas pour moi. Je ne mourrai pas sous le
couperet de la guillotine, cela j’en suis certaine. Il a certainement encore
plus peur de moi qu’il ne me hait. Je connais Robespierre, maintenant.
C’est ainsi que Flammermont et
la Gilbert quittèrent Paris, laissant Marie-Adélaïde seule au 5 de la rue de
Tournon. Elle s’arrangea pour disposer d’un peu d’argent, paya d’avance plusieurs
mois de loyer, prépara ses bagages et attendit.
À l’heure dite, un commissaire
et plusieurs sbires du Tribunal révolutionnaire, accompagnés d’une foule de
patriotes vociférant et jurant contre les faux prophètes et les jeteurs de
sorts se présentèrent dans la petite cour qui ouvrait sur l’officine de la
Sibylle.
— Citoyen, je vous attendais,
lança-t-elle au commissaire. Je vous suis.
— C’est ainsi que ça s’est
passé ? demanda Gabriel-Jérôme fasciné par le récit de la jeune femme.
Elle lui sourit : elle
parlait ainsi depuis de longues heures alors qu’ils étaient blottis tous les
deux dans le lit et avaient laissé brûler plusieurs chandelles.
— Exactement de cette manière.
Robespierre m’a fait arrêter, mais il n’a pas eu le courage de me faire
exécuter.
— Tu l’as revu depuis ?
Un petit rire lui
répondit :
— Bien sûr que non. Il a bien
trop peur. Vois-tu, mon chéri, Robespierre est un homme d’idées, ce n’est pas
un homme d’action. Il a commencé à agir dès le déclenchement de la Révolution,
mais il ne prévoyait pas alors que chaque action entraînerait un tissu de
conséquences, qu’elle modifierait l’avenir sur de multiples plans. Si tu fais
tuer un ennemi, celui-ci a forcément de la famille, des amis qui souhaiteront
le venger. En voulant régler un problème, tu en crées dix, vingt, cent
nouveaux. Il l’a appris à ses dépens et se retrouve maintenant pris à la gorge
de toutes parts. Il ne voit aucune issue à sa situation, sauf une intervention
divine.
Sénart fronça les sourcils :
comment une fille aussi jeune pouvait-elle connaître aussi parfaitement l’homme
qui régnait sur la France ? Puis il se dit que son don avait dû faire
naître chez elle des capacités particulières de compréhension et
d’intelligence. Il valait mieux ne pas avoir la Sibylle comme ennemi.
— Alors, il va mourir ?
Elle hocha la tête. Ils se
turent. Elle l’avait dit : leur amour durerait jusqu’à la chute de
Robespierre. Il ne voulait pas savoir quand cela arriverait. Pour rien au
monde…
Une nouvelle idée lui vint à
l’esprit :
— Et après, qu’y
aura-t-il ?
— Après qui ?
— Après Robespierre. Tu m’as
parlé d’anges protecteurs impuissants, de démons envoyés pour laver la terre de
ses péchés. Et après, lorsqu’il sera mort, lorsque ces massacres se seront arrêtés,
qu’y aura-t-il ?
Son regard se fit vague, elle
reprit cette expression impassible et marmoréenne qu’elle avait lorsqu’elle
devenait la Sibylle. « Ce n’est même plus volontaire chez elle, se dit-il.
Elle est ainsi, chaque fois qu’elle voit, elle change de visage, mais aussi
peut-être de personnalité... d’âme. »
Un cavalier surgira lorsque le
septième sceau sera brisé, murmura-t-elle. Un cavalier pâle.
— Qui est-il ?
— Je ne le sais pas encore, je
ne vois que des choses imprécises, mais c’est énorme. Je vois des guerres,
beaucoup de guerres, de grands bouleversements, comme si la Révolution se répandait
à travers l’Europe. Je vois cet homme entrer en vainqueur dans toutes les
capitales, devenir maître du monde… Je vois un piétinement d’armées comme on en
a encore jamais vu même au temps d’Alexandre le Grand ou des grandes invasions,
je vois des peuples obligés de fuir ou de se soumettre…
Aussitôt, son expression
changea. Elle redevint petite fille et se mit à pleurer tout en se blottissant
dans les bras du garçon.
— Gabriel, murmura-t-elle,
alors qu’il sentait son sein appuyer sur son bras et ses larmes mouiller sa
joue, il ne faut pas que cela arrive, il ne faut pas…
13
Le matin du 20 prairial, tout
commença à cinq heures.
Il y eut un rappel général dans
Paris. Les porteurs d’ordres, les patriotes, les gardes nationaux, les
gendarmes, les milices des secteurs sillonnèrent les rues. Ils frappaient aux
portes closes, secouaient les sonnettes. Plusieurs jouaient maladroitement
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