La Sibylle De La Révolution
du
clairon. On chantait, vociférait, le tambour résonnait. Paris devait se
réveiller car la Convention en avait décidé ainsi. Il fallait se lever et immédiatement
commencer à décorer les maisons : ressortir le drapeau tricolore ou en
installer un plus beau, plus grand. Poser des guirlandes de fleurs ou de verdure.
Gare à ceux qui n’allaient pas assez vite ou qui décoraient médiocrement leurs
demeures : ils étaient hués, frappés, menacés de rejoindre les cohortes
d’ennemis du peuple qu’on conduisait place de Grève.
Et puis, ce fut le rassemblement.
Le peuple encore hébété fut parqué, mis en ordre. Partout on dut assister à
l’incroyable. Chacune des quarante-huit sections de Paris sonna le rappel et
embrigada d’un côté les mères et les jeunes filles, de l’autre les hommes et
leurs fils. Les plus âgés durent conduire les plus jeunes autour du drapeau de
leur section située sur une place ou à quelque intersection un peu large. Là,
on les équipa de fusils, de sabres ou de piques, et beaucoup de ces
adolescents, éberlués, se virent ainsi affublés d’une arme pour la première
fois de leur vie.
Sous peine d’être molestée,
chacune des femmes, jeune ou vieille, dut porter les couleurs de la
Révolution : le bleu, le blanc et le rouge, soit sous la forme d’une
cocarde, soit sous la forme d’un bouquet et les plus jeunes se chargèrent de paniers
remplis de fleurs.
Dans l’aube naissante de ce
matin de prairial, alors que le soleil commençait à rosir les tours de
Notre-Dame, Paris ressemblait déjà à une gigantesque fête de village.
— En route, en route, la
liberté nous attend !
Un vague grondement retentit,
mais ce n’était pas le tonnerre, signe avant-coureur de l’orage. Les forts
situés autour de la capitale lancèrent la canonnade. Le signal était donné.
Les jeunes furent placés en
bataillons au milieu desquels se dressaient les flammes et le drapeau de la
force armée de la section.
Selon les ordres de la
Convention, dans chaque section dix mères de famille, dix jeunes filles, dix
vieillards, dix adolescents et dix très jeunes garçons furent choisis. Les femmes
devaient être vêtues de blanc et les adolescents armés de sabres. Le
commissaire de chaque groupe dut les rassembler, et tous avaient un rôle important,
qu’ils ignoraient encore, à jouer dans la cérémonie.
Ce fut le départ.
Quarante-huit sections s’ébranlèrent
de tous les quartiers de Paris. Ce fut comme si tout un peuple se mettait en
marche, pour converger vers un point unique. Les commandants des forces armées
de chaque division, secondés de leurs capitaines, veillaient à ce que le
cortège conserve le décorum requis. Pas de retardataire, pas de
bousculade : le peuple libéré devait marcher au pas et bien droit en
obéissant aux ordres lancés par les officiers.
Des décennies plus tard, tous
ceux qui avaient assisté à cette marée humaine pleine de fleurs, de chansons,
de coups de canon et de tambour s’en souviendraient encore. Même ceux dont un
membre de la famille était passé sur l’échafaud, même ceux dont la Révolution
n’avait pas changé le sort et qui mourraient toujours de faim et de misère.
Même les fervents royalistes qui dissimulaient leurs penchants coupables. Nul
ne pourrait évoquer plus tard sans mélancolie cette journée du 20 prairial. La
mélancolie d’avoir pour un jour connu tout le peuple rassemblé. Le grand soir,
celui qui verrait la fin de la tyrannie, la fin de l’oppression, la fin de
toutes les inégalités, de la pauvreté… Le début d’une nouvelle ère.
Tous ces défilés somptueux
empruntèrent les plus larges avenues de la capitale car tous devaient se rendre
à un même point. L’âme de la Révolution. Le lieu où tout se décidait, où tout
était né. Le point central à partir duquel la Révolution allait prendre son
envol pour conquérir le monde. Le Jardin national. Juste devant le palais qu’on
nommait autrefois les Tuileries.
Le peuple portait des branches
de chêne, des fleurs, des rameaux et c’était comme si de longues forêts
serpentaient à travers les rues de Paris. Jusqu’aux portes du Manège, du Pont national
et de celles du pavillon de l’Unité, là, le peuple se répandit à travers les
jardins auparavant destinés à l’amusement des rois. Pas de désordre, pas une
foule compacte et dénuée de raison. Chaque section possédait un numéro et des
jalons délimitaient la
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