la tondue
petite taille et Yvette, à les voir ainsi, éprouvait une irrésistible envie de rire.
Paulette l’attendait devant le portail de la ferme de ses parents. Ceux-ci étaient déjà partis pour ne rien manquer de la fête. Toutes deux allongèrent le pas et, bientôt, elles dépassèrent les parents, puis des groupes qui marchaient en discutant et, enfin, s’arrêtèrent devant quelques vieux assis sur un muret de pierre qui revivaient les fêtes d’autrefois et leur jeunesse envolée en parlant haut et fort.
Elles les saluèrent en passant et ils leur sourirent de tous leurs chicots noircis.
À l’entrée du village de Langlade, un jeu d’énormes quilles barrait la route. Une boule de buis, d’une bonne trentaine de centimètres de diamètre, percée de deux trous où se glissaient les doigts, se balançait au bout de la main des concurrents. Sans efforts apparents, ils prenaient de l’élan et arrivaient arc-boutés jusqu’à la ligne tracée à la craie qu’il était interdit de dépasser. Là, dans un ahanement de joie – ou de douleur – ils lançaient la boule qui, tel un projectile roulant et sautillant, s’infiltrait dans la forêt des quilles, les renversait et les projetait au loin. La boule, son travail accompli, butait violemment le mur de planches dressé pour l’arrêter. Quelquefois, emportée par l’élan, elle bondissait et disparaissait dans la foule au risque de faucher quelques pieds !
Des badauds s’attroupaient autour des joueurs, applaudissaient leurs exploits ou donnaient des conseils. Puis, fatigués de rester sous un soleil de plomb, assoiffés et excités, ils se dirigeaient vers l’auberge la plus proche. Ils étaient immédiatement remplacés par d’autres aussi intéressés et cela continuait sans interruption.
Yvette et Paulette ne s’attardèrent pas au jeu de quilles.
Elles firent le tour de la fête. Des jeux de massacre étaient installés sur des bancs, on y canardait des boîtes vides à coup de polochons, en deux ou trois endroits.
Dans un coin, on pouvait “descendre” pour quelques pièces la tête de Mussolini, d’Hitler ou de leurs comparses !…
Jeunes et moins jeunes, le béret sur l’oreille, s’en donnaient à cœur joie. Après s’être bien énervés sous le soleil, suant à grosses gouttes, ils se sentaient tous obligés de se retrouver aux trois cafés du village pour se réconforter.
Dans les salles, c’était la cohue. Beaucoup d’hommes et quelques femmes tentaient de s’approcher des serveuses qui circulaient au hasard des tables. Elles ne savaient où donner de la tête et des bras, on les hélait de tous côtés, elles partaient en courant, se trompaient, empochaient l’argent et rendaient la monnaie en un tour de main. À leur passage fusaient des rires gras et des plaisanteries salaces qu’elles paraissaient ne pas entendre…
Yvette et Paulette regardèrent en passant ce spectacle puis se dirigèrent vers le haut du village où se tenait le bal.
Le bal… Yvette savait bien que ce ne serait en rien comparable aux soirées des salles parisiennes où elle avait ses entrées, mais elle n’imaginait pas cette caricature de bal…
Une vulgaire aire à battre le blé, nettoyée pour la circonstance tenait lieu de piste de danse, on y avait ajusté, du mieux possible, un plancher dont les aspérités avaient été rabotées pour éviter les chutes. La cour était clôturée de piquets rugueux reliés entre eux par une planche mal équarrie…
Juché sur une estrade, un musicien anguleux, le nez proéminent, les moustaches tombant à la gauloise, les cheveux hirsutes, dominait tout un peuple de filles et de garçons qui tournaient sur la musique d’un accordéon poussif aussi vieux que son maître. L’instrument avait sûrement connu de meilleurs jours. Il s’essoufflait en valses, polkas et marches que rythmaient, en buvant force “canons”, des compères au regard brillant cuits et recuits par le soleil. Ils riaient de toute leur bouche édentée.
Les deux filles pénétrèrent dans l’enceinte et attendirent d’éventuels cavaliers, appuyées aux piquets du bal.
Arrivèrent alors des garçons des environs qui invitèrent Paulette mais, tout en lui jetant des coups d’œil curieux, n’osèrent pas s’approcher d’Yvette.
Elle se résignait déjà à faire tapisserie toute la soiréequand un grand jeune homme au costume bleu marine rayé de blanc, s’inclina devant elle. Heureuse et soulagée, elle le suivit
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