la tondue
Levé avec l’aube, couché après le soleil… Sans un jour de repos… Tu ne peux pas en dire autant, espèce de feignant !
— Je ne te parle pas de ton argent, mais de Casimir, fit l’autre en lui secouant les épaules. Casimir a été dénoncé et c’est comme ça que tu as eu sa ferme, oui, Casimir Ségala, mon cousin !
— Je l’ai payée, que je te dis… Et même plus que ce qu’elle valait, cette ferme.
— Tu l’as payée… Une misère, oui ! Tu étais de combine avec tout le monde : tu prétendais ravitailler le maquis, mais ta femme renseignait la Gestapo !
— Répète voir ça, un peu ! »
Un groupe s’était rapproché et ricanait sans vergogne en regardant les deux hommes.
Yvette n’en croyait pas ses yeux. Tous ces regards fixés sur son père étaient si remplis de haine et d’envie qu’ils lui faisaient glisser une sueur froide dans le dos.
« Je le répète, je le répète, reprenait l’autre, se sentant soutenu par les curieux de plus en plus nombreux.
— … Je t’accuse d’avoir dénoncé Casimir pour lui prendre sa ferme… Je t’accuse d’avoir trafiqué avec les Allemands… »
Le père s’avança lentement, le poing tendu. Des yeux fous brûlaient dans son visage livide. Les lèvres tremblotantes, il approchait comme un automate, prêt à fondre sur l’individu qui le regardait fixement. Alors, sortie d’on ne sut où, une petite femme en noir bondit sur le père, le tira par la manche et se plaça en face de son adversaire, les poings sur les hanches.
« Vous n’avez pas honte, tous les deux ! Vous vous disputez parce que vous avez encore trop bu… Elle se tourna vers son mari :
— Toi, veux-tu filer à la maison et aller cuver ton vin au lit ! »
Le père en resta tout penaud. Elle se retourna et ajouta doucereusement :
« Quant à toi, Louis, il ferait beau voir que tu reproches quelques peccadilles à Joseph… Aurais-tu oublié Jacqueline ? »
À ce nom, le dénommé Louis devint furieux.
« De quoi te mêles-tu Clémence ? Ote-toi de là que je lui règle son compte à ce tordu !…
— Ote-toi de là toi-même ! Il faut que tu sois bien saoul pour oser nous interpeller, Joseph et moi, de cette façon ! Tout le monde sait bien que ta femme…
— Je te dis de la fermer ! Fous le camp avec ton homme, ôte-toi de devant mes yeux ou je ne réponds plus de rien… »
La mère ne se le fit pas dire deux fois, elle prit le bras du père et l’entraîna vers le village de Venède en silence.
Lui, suivait à regret en soliloquant. De temps en temps, il s’arrêtait, faisait des moulinets avec sa canne et tendait un poing rageur vers l’horizon qui, déjà, virait au mauve.
La mère le calmait et il repartait, raide et titubant, appuyé sur sa femme. Elle, parfaite image de la vertu outragée, pointait hardiment la tête et marchait à grands pas, traînant presque son mari…
Son départ, qui ressemblait à une fuite, se voulait une orgueilleuse indifférence envers les rieurs. Ces derniers unissaient dans leurs quolibets aussi bien les époux Martin que Louis, qui gesticulait et palabrait toujours au milieu de la place.
VII
Un étrange couple belge
Les moissons battaient leur plein dans le village. La fête était oubliée depuis longtemps. Mais, au fond d’elle-même, Yvette ne cessait d’y penser.
Elle avait essayé de faire parler Paulette pour lui demander les raisons de cette violente querelle qui avait opposé son père, ennemi de toute dispute, à Louis Maréchal, un homme apparemment sans histoire.
Celle-ci, fine mouche, avait esquivé la question. Elle avait répondu en citant des généralités :
Il y avait toujours des gens jaloux… Ils accusaient les autres de marché noir… Dans tous les villages, c’était pareil, Venède ne faisait pas exception… Ses parents à elle aussi, avaient subi des attaques ; personne n’y échappait, on parlait de ce fameux marché noir comme s’il eût été le centre du monde, il fallait faire avec !
Le temps passant, on oublierait toutes ces stupides querelles.
Le mieux était, aujourd’hui, de les traiter par le mépris…
Yvette n’avait pas été convaincue pour autant. Il lui semblait que Paulette se retranchait derrière des banalités et lui cachait la vraie raison de la dispute.
Et puis, Paulette était amoureuse. Un grand garçon roux, qu’Yvette traitait intérieurement de “grand dadais”, venait la voir tous les dimanches.
Il
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