la tondue
habitait Saint-Etienne, un village voisin. Il arrivait très tôt, l’après-midi, sur son vélo flambant neuf. Juché sur son engin, il faisait du “gymkhana”, comme il disait en riant.
Il montait et descendait tous les talus de la route, le vélo lancé à toute vitesse, lui, à demi couché sur le guidon, sous le regard indulgent de sa dulcinée !
Yvette était prodigieusement énervée par ce manège. Elle se demandait ce que son amie pouvait trouver d’intéressant à ce casse-cou de troisième zone. Elle avait essayé de le lui faire comprendre mais, devant l’attitude irritée de Paulette, elle n’avait pas insisté.
David aussi venait de temps en temps. Il passait, comme par hasard, bavardait quelques minutes puis repartait. Yvette trouvait son comportement bizarre. Elle regrettait parfois qu’il ne fasse pas le fou comme René – c’était le nom du soupirant de Paulette – au moins, avec lui, on savait à quoi s’en tenir.
David parlait peu, ne se mêlait pas aux autres mais observait et écoutait. Yvette ne pouvait s’empêcher d’éprouver un sentiment de malaise. Elle se demandait pourquoi il rôdait dans le coin… Venait-il pour elle ou pour avoir des renseignements sur le pays et ses habitants… Dans la conversation, il revenait si souvent sur la querelle de la fête que cela finit par l’intriguer.
Elle lui avait caché que l’un des protagonistes était son père, aussi fut-elle stupéfaite quand il lui demanda : « Vous les connaissiez, les deux hommes qui se disputaient à la fête ? »
Abasourdie, elle ne répondit pas. Il insista :
« Vous les connaissiez ?
— Ou… oui.
— Ils sont d’ici ?
— Oui.
— Qu’ont-ils fait pendant la guerre ?
— Mais rien… Je ne sais pas !…
— Pourtant, ils avaient l’air d’avoir quelque chose ; de grave à se reprocher tous les deux. »
Elle reprit les paroles de Paulette :
« Oh, Louis, c’est un envieux… Tout le monde nous jalouse parce que mon père a acheté une ferme et que…
— Votre père ? Que vient faire ici votre père ? » Yvette se mordit la langue. Elle s’était trahie !
Alors, elle dit rapidement :
« L’un des hommes était mon père… »
David resta sans voix un long moment et ne revint plus sur ce sujet.
Il passa plusieurs dimanches sans venir et Yvette pensa qu’elle ne le reverrait plus.
À la maison, la mère ne décolérait pas. Elle ne répondait que par monosyllabes à toutes les questions posées et ne parlait à personne.
Le père essayait maladroitement de l’amadouer en lui épargnant les corvées qu’il savait lui être désagréables. Il trayait, allait porter la pâtée aux cochons et racontait avec humour et forces gestes, les dernières nouvelles du village.
Rien n’y faisait. Clémence travaillait avec rage, l’écartait impatiemment de son chemin quand il la gênait et ne disait mot.
Le pauvre homme en oubliait de manger. Aux repas, il fixait sa femme d’un air de chien battu, toujours en vain…
Alors, las de cette guerre sournoise, il s’en allait à la cave et, à même le robinet du tonneau, tirait de fortes rasades pour oublier ses soucis.
Le soir, la mère feignait de ne pas voir sa démarche incertaine. Elle faisait son travail et y ajoutait celui de Joseph, incapable du moindre ouvrage. Il la suivait en protestant et hoquetant.
« Laisse, laisse, Clémence, je le ferai, va te reposer… »
Elle continuait sans paraître l’entendre et, en un tour de main, abattait plus de tâches qu’en temps ordinaire.
Yvette, spectatrice de ces joutes, se demandait si elles finiraient un jour. Jacques, habitué à ces sautes d’humeur, lui disait lorsqu’ils étaient seuls :
« T’en fais pas, ça lui passera comme c’est arrivé, sans rien y faire… Un matin, tu ne sauras pas pourquoi, elle sera de bonne humeur !… Mais, cette fois, elle est très très en colère, ça risque de durer longtemps.
— Longtemps ? Combien de temps ?
— Un mois, peut-être plus…
— Mais enfin, pourquoi le père s’est-il disputé si fort avec Louis ? »
Jacques regarda sa sœur.
« Ah oui, pourquoi ? J’aimerai bien le savoir… D’habitude, avec Louis, ils s’entendent comme larrons en foire. Le jour de la fête, je ne sais vraiment pas ce qui leur a pris !… »
Il réfléchit un moment, puis ajouta :
« Il s’est bien passé quelque chose pendant la guerre, mais je ne sais quoi au juste… Bien sûr, on a
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