la tondue
sans trop le regarder mais, quand il l’enlaça et qu’elle leva les yeux sur lui, elle tressaillit : c’était l’inconnu du train !…
Les danseurs étaient de plus en plus nombreux et il devenait difficile de se mouvoir. Les couples se bousculaient, s’arrêtaient, perdaient le rythme, se balançaient un moment puis repartaient en mesure.
Yvette se laissait conduire machinalement mais elle était si stupéfaite qu’elle faisait faux pas sur faux pas et sentait ses jambes se dérober sous elle.
« Vous ne savez pas danser, mademoiselle ? s’enquit poliment son cavalier.
— Si… si, mais je ne sais pas ce qui m’arrive…
— Ce doit être la chaleur, voulez-vous venir boire quelque chose ? »
Elle acquiesça et le suivit, docile, vers une des buvettes de la place, installées pour la fête. Un peu de courage lui revint : il ne l’avait pas reconnue !…
Ils s’appuyèrent à la planche fixée entre deux arbres qui tenait lieu de bar. Elle jouxtait le bal et offrait des rafraîchissements plutôt tièdes. C’était très rustique et Yvette en eut un peu honte. Le jeune homme n’en parut pas affecté, il fit même cette réflexion qui l’étonna :
« C’est très sympathique, cette ambiance champêtre ! »
Yvette, maintenant, se sentait des fourmis dans les jambes et regrettait les danses qu’elle aurait pu faire ! Debout, un verre de limonade à la main, elle scandait le rythme de la pointe de son soulier en regardant les couples qui tournoyaient. Son cavalier s’en aperçut et lui dit :
« On y va ? »
Elle ne se fit pas prier et se sentit glisser au milieu des autres, ne songeant plus qu’à son pas qui s’était fait beaucoup plus assuré…
Serrée par son danseur, elle se demandait en écoutant cascader les grelots que le musicien portait attachés à ses chevilles : « Mais que peut- il faire là ? » Elle leva les yeux et surprit son regard posé sur elle. Il lui sourit, l’entraîna et reprit à mi-voix l’air joué par l’accordéon.
Quand la musique s’arrêta, elle voulut s’esquiver mais ne put y parvenir, serrée de tout côté par les couples. Il en profita pour la reprendre dans ses bras dès les premiers accords d’une valse. C’était un plaisir de danser avec lui. Il la guidait avec délicatesse, la faisait tourner et virevolter. Les autres s’écartaient et les regardaient curieusement.
Tout le soir, au son de l’accordéon, elle dansa. Elle se sentait revivre… Oubliée, cette horrible journée d’août où sa belle chevelure blonde était tombée sous les ciseaux de la honte, oubliés la famille, la ferme et les parents. Aujourd’hui, la vie redevenait digne et heureuse comme avant…
Mais le temps passait et le bal s’arrêta. Le musicien replia son accordéon et Yvette resta sur place, hébétée, prête à pleurer, un goût amer dans la bouche…
« Allez, je vous raccompagne, lui dit son danseur en souriant, ne faites pas cette tête, nous nous reverrons si vous voulez bien me dire votre nom. »
Alors, brusquement, tous ses soucis lui revinrent. Et si c’était un piège ? S’il l’avait reconnue et qu’il vienne lui jeter ses fautes à la figure, là, devant toute la commune assemblée ?…
Mais non, il paraissait attendre, tout joyeux, sans problème.
« Je… Je m’appelle Yvette.
— Yvette, comment ?
— Yvette Martin… Mais… Et vous ?
— Moi ?… Il hésita une fraction de seconde et dit comme à regret : Je suis David… David Durand… »
Il l’épiait. Il semblait attendre une réaction de sa part. Elle ne vint pas. Il répéta :
« David Durand. »
Elle le regarda et dit à mi-voix, pour elle-même :
« David, comme le roi ?
— C’est cela même, le roi David, vous connaissez son histoire ?
— Bien sûr, j’ai été à l’école chez les sœurs et on y faisait de l’histoire sainte !
— Que cela ne vous empêche pas de… »
Mais il ne put continuer. Des éclats de voix leur parvinrent du bistrot, de l’autre côté de la route.
Sur le pas de la porte, deux hommes, en colère, s’affrontaient debout, redressant leur taille dans une attitude menaçante.
Ahurie, Yvette reconnut son père en l’un d’eux.
La casquette rejetée en arrière, les yeux teintés de rouge, sa canne tournoyant nerveusement dans la main, il criait d’une voix avinée :
— … Et, bougre d’abruti, cet argent, je l’ai gagné… Je te dis ce qui est. Gagné, gagné…
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