la tondue
richesse.
La mère, tout en jetant un regard en biais à Yvette, avait glissé la pièce à Jacques. Le jeune homme était parti, très fier, sur le vieux vélo de Joseph aux immenses guidons rouillés. Il rêvait d’une moto depuis longtemps, on la lui avait promise mais l’achat en était toujours différé.
En chemin, les deux amies rencontraient les filles des autres villages et le groupe s’étoffait de plus en plus.
Les garçons passaient et repassaient à vélo ou à moto, fanfaronnant sur leur engin pour éblouir ces donzelles qui feignaient de ne pas les voir. Elles pouffaient dans leur mouchoir en les guettant sournoisement.
Garçons et filles finissaient par se rejoindre et alors de grandes discussions surgissaient, des flirts s’ébauchaient, des rendez-vous se fixaient pour un coin caché, à l’abri d’une haie où l’on pourrait bavarder tranquillement, entre jeunes, loin des regards curieux des passants.
Les garçons partaient en éclaireurs, les filles suivaient au pas de gymnastique, on s’asseyait au bord d’un talus, dans un pré ombragé et on laissait couler le temps en bavardant et en plaisantant…
Depuis qu’Yvette était revenue, les dimanches s’étaient succédé sur ce même modèle, devenant, à la longue, un peu fastidieux. Mais, aujourd’hui, c’était la fête, la fête de la commune. Elle se faisait un plaisir d’y participer avec Paulette.
Beaucoup de jeunes avaient, ce matin-là, déserté l’office du dimanche pour mettre en place le plancher du bal ou réviser le jeu de quilles. Ceux qui y avaient assisté ne s’attardèrent pas et partirent, à grands coups de pédales, vers les villages. Les filles coupèrent court à leurs bavardages en se promettant de se retrouver en début d’après-midi. Chacune disparut vers sa maison dans un envol de jupe et un claquement de talons.
En cette torride journée de juillet, de tous les villages, les gens se dirigeaient vers Langlade.
Vieilles maisons enserrant une boucle de la Nize, pont de pierre à dos d’âne au charme vieillot, croisement de deux routes dont l’une, celle qui grimpait vers le causse, n’était guère plus qu’un chemin tel se présentait le village de Langlade.
Et là se tenait l’une des premières fêtes d’après-guerre.
Tous venaient y chercher un vague souvenir des temps anciens ou essayer d’oublier les années noires.
Les parents, pour une fois, avaient décidé de laisser les bêtes à l’étable et d’aller voir ce qui se passait à Langlade.
Le père avait sorti son “noubia”, le costume de ses noces. Il avait eu du mal à y loger son ventre rebondi mais, après force essais, il était tout de même parvenu à fermer les derniers boutons en disant fièrement :
« Voyez, je n’ai pas tellement grossi en trente ans de mariage.
— Non, tu crois ! Tu vas tout faire craquer ! » avait rétorqué sa femme, pour une fois de bonne humeur. Les boutons, en effet, étiraient dangereusement le tissu qui se tendait en dentelle autour d’eux.
La mère, elle, n’avait rien changé à sa toilette. Elle avait enfilé son éternelle robe noire qu’elle portait dimanches et fêtes et qu’elle rangeait soigneusement aussitôt revenue de la messe. Yvette aussi avait voulu se faire belle. Elle avait choisi une robe vert d’eau qui lui seyait particulièrement.
Quand elle la sortit de la penderie, elle se revit dans les allées du jardin du Luxembourg où bien des têtes tournaient à son passage…
Elle virevolta devant la glace et, toute joyeuse, s’apprêtait à descendre quand elle s’arrêta brusquement. Quelque chose avait changé dans la chambre ; mais elle ne savait quoi…
Elle parcourut des yeux les murs blanchis à la chaux, la penderie dans son coin… Tout paraissait normal…
Elle examina le lit, la chaise, revint vers l’armoire et se mit à la contempler perplexe… Elle s’approcha et décida de la fouiller. Elle s’exécuta fébrilement, consciente que l’anomalie pressentie était là.
Au bout d’un moment, elle se rappela : la boîte !… La boîte avait disparu…
VI
Un bal mouvementé
Encore sous le choc, elle rejoignit ses parents sans un mot et ils partirent ensemble vers Langlade. Jacques les avait précédés en vélo car il était chargé de tenir un des jeux de quilles et devait être en place à l’ouverture.
Le père, appuyé sur sa canne, avançait à grands pas, la mère à ses côtés. Tous deux redressaient fièrement leur
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