la tondue
tu t’en sois tirée sans trop de mal… Je croyais, reprit-il prudemment devant le visage bouleversé d’Yvette, que tu avais trouvé de la consolation par ici… Il me semble que ce jeune homme qui a de bonnes manières n’était peut-être pas venu, le soir du cochon, pour Jacques, mais pour toi… Dis-moi si je me trompe… »
Elle fit “non” de la tête et éclata en sanglots.
« Oh ! Papa, si tu savais !
— Si je savais quoi, ma petite fille ? Voudrais-tu me faire comprendre que tu es enceinte ?
— Non, non, ce n’est pas ça du tout.
— Alors, qu’y a-t-il ?
— Je ne peux pas… Je ne peux pas te le dire… »
Il en resta interloqué.
« Pourquoi ? Tu n’as pas confiance en ton vieux papa.
— Si. Mais, mais, c’est impossible. Il s’agit de… d’une histoire dont je ne sais pas bien si elle est vraie.
— Ma petite fille, tu parles par mystères. De quelle histoire s’agit-il ?
— Je, je crois que les parents de David sont morts pendant la guerre…
— Il y en a eu d’autres, tu sais, et il faut essayer d’oublier…
— Oui. Mais ce n’est pas seulement ça. Ils ont été dénoncés aux Allemands et ils sont morts…
— Comment sont-ils morts ?
— Je ne sais pas. C’est moi qui le dis ; mais je n’en suis pas sûre…
— Il ne t’en a jamais parlé ?
— Non, jamais.
— Tiens, c’est bizarre. Alors, comment sais-tu qu’ils sont morts ?
— Je l’ai compris.
— Mais pourquoi ne t’en a-t-il pas parlé ? Ce n’est pas déshonorant de mourir à la guerre. Sauf si on a collaboré ou pactisé avec l’occupant…
— Non, non, ce n’est pas ça du tout…
— Toi, tu me caches quelque chose. De quoi s’agit-il exactement ?
— Je… je crois que les parents de David se cachaient ici, pendant la guerre et qu’ils ont été dénoncés… »
Le père réfléchit un moment :
« Qu’est-ce qui te fait dire cela ? »
Yvette se tut et s’éloigna de son père. Elle s’avança seule, sur le chemin. Joseph la rattrapa, la saisit par l’épaule et lui demanda d’une voix basse où perçait la peur :
« Tu dis qu’ils étaient ici, pendant la guerre, mais où donc auraient-ils habité ?
— C’était, probablement, au château…
— Ah, effectivement, il y a eu des étrangers, au château… »
Il laissa partir Yvette mais ne la suivit pas et resta un long moment perplexe. Les yeux dans le vague, il regardait, sans les voir, les brumes violettes qui s’égaraient du côté de Balduc.
Il reprit ses outils et entra, lentement, dans le premier pré, toute la tristesse du monde pesant sur ses épaules…
Tout en maniant le râteau, il revoyait Clémence riant et dansant, une grosse liasse de billets à la main… Clémence encore, ses minces lunettes croulant sur le nez, lui montrant des papiers et des titres qui, disait-elle, valaient une fortune.
Il avait osé s’insurger :
« Mais, Clémence, cet argent ne nous appartient pas !
— Oh la la, ce que tu peux être bête ! C’est vrai, qu’il ne nous appartient pas. Elle nous l’a laissé pour le garder jusqu’à son retour… Mais avec ce qui arrive, aujourd’hui, tu y crois, toi, à son retour ? »
Il avait encore protesté :
« Et si sa famille revenait, si quelqu’un, un jour, venait le réclamer ?
— Personne ne sait où elle est. Qui veux-tu qui vienne ! »
Mais “on” avait su… Et maintenant, il fallait payer ! Il le pensait bien, lui, qu’il ne fallait pas se servir de cet argent, mais Clémence était si persuasive et la propriété de Ségala si tentante ! Ils avaient donc utilisé cet argent. Et voilà que le fils revenait demander des comptes… Et Yvette qui était allée s’enticher de ce garçon… Quelle folie ! Quel ennui aussi… Il fallait qu’il en parle à Clémence. Il pensa à l’attitude étrange de sa femme ces derniers temps, surtout vis-à-vis d’Yvette…
Donc, Clémence avait compris, bien avant lui, ce qui se passait, et elle aussi se faisait du souci ! Il fut presque soulagé de savoir sa femme au courant. Ce soir, se dit-il, nous parlerons de tout cela… Et, soucieux, se remit sérieusement au travail.
XIX
Les souvenirs de Joseph
Tu es fou !Mais qui a bien pu te mettre cette idée en tête ?
— … ?
— C’est ce blanc-bec qui est venu, le soir du cochon ? Oui, c’est ça. Je le vois à ta mine ! Mais qu’a-t-il à voir, lui, avec cette histoire ? De quel droit
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