la tondue
escaliers manquaient, probablement emportées par quelque vandale en mal de construction !
Elle fixait cette maison en ruines et s’effrayait en pensant qu’elle entrait, par effraction, dans la vie des gens qui avaient cru trouver là un havre sûr et qui s’étaient trompés… Elle resta longtemps, sans bouger, à rêver : qu’avait été, autrefois, cette demeure ? Maintenant, aucun bruit ne s’élevait de la campagne environnante. Même les oiseaux étaient partis, sans espoir de retour. Elle regarda le sentier et, dans les brumes blanchâtres qui résistaient encore au soleil matinal, il lui sembla entrevoir la fuite de la traction noire qui avait, définitivement, rejeté la maison dans l’oubli…
Elle s’aperçut alors qu’elle était en pantoufles et qu’elle pataugeait dans l’herbe où le dégel avait laissé de grandes flaques noirâtres.
« Mon Dieu ! Pauvre David ! Pauvres gens… Et moi… Et moi ! »
Elle jeta ses pantoufles au loin et se coucha au pied d’un chêne, sur une petite éminence. Là, les deux bras en croix, la tête à même la terre, elle s’abandonna à sa douleur.
XVIII
Le père et la fille
Joseph avançait d’un pas nonchalant vers la rivière. Le printemps arrivait. La douceur presque imperceptible de l’air l’avait averti qu’il était plus que temps d’aller déblayer les prés où l’eau, dans ses colères hivernales, avait déposé galets et branchages. Il fallait enlever tout cela avant la poussée de l’herbe.
Yvette marchait à l’avant, le râteau sur l’épaule, la tête penchée, l’air ailleurs. Il avait insisté pour la prendre, bien qu’il eût, tout seul, suffi à la tâche. Il la sentait tendue et inquiète, surtout depuis le retour de Clémence.
Car Clémence était revenue… Incapable de rester au repos, comme le lui avait recommandé le docteur, elle dédaignait ses béquilles et se traînait, aidée d’une chaise où elle posait sa jambe malade, à travers toute la maison.
Le raclement des pieds de la chaise sur les lames inégales du plancher de bois rendait un grondement semblable au roulement lointain du tonnerre et s’entendait jusque dans le chemin.
Yvette avait bien essayé de raisonner la mère en lui disant qu’elle retardait sa guérison, mais rien n’y avait fait… Têtue, elle ne répondait pas, mais agissait à sa guise. Elle risquait de culbuter ou de s’écrouler quand elle se baissait. Elle pouvait, par mégarde, lâcher le dossier de la chaise… Le père la disputait mais elle ne l’écoutait pas…
Son premier soin fut d’expédier Yvette au dehors, dès qu’elle se sentit assez forte pour préparer les repas.
« Je n’ai jamais eu de servante, lui dit-elle, et ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer ! »
Yvette, qui savait l’inutilité de la contredire, haussait les épaules et partait dans les champs avec son père.
En pensant à tout cela, Joseph avait allongé le pas et se trouvait, maintenant, à la hauteur de sa fille. Il lui dit, poursuivant tout haut son monologue intérieur :
« Je me suis fait un sang d’encre. Mais cette jambe a l’air de bien s’arranger. Tu te figures, si elle était restée infirme… »
Il se tourna vers Yvette et continua :
« Comment ça va, vous deux ? Il me semble que tu t’habitues au pays, bien que, de temps en temps, tu paraisses encore soucieuse… Tu t’entends bien avec Clémence ? »
— Couci-couça… »
Que dire ? Elle ne pouvait avouer ses soupçons à son père.
« Ces derniers temps, tu étais toute drôle… Je te sentais malheureuse. Qu’y avait-il ? »
Il prit sa fille par les épaules et la serra contre lui.
« Tu sais, j’ai l’air de ne pas m’occuper de toi, et c’est vrai que le travail m’accapare beaucoup, mais tu sais, je t’aime bien quand même ! »
Il reprit, après une hésitation :
« Peut-être qu’à Paris, tout n’a pas été rose pour toi. Si j’ai bien compris, il a même dû se passer du vilain. Hein, c’est ça, fit-il en lui soulevant le menton…
Ne pleure pas, ajouta-t-il rapidement en voyant des larmes se presser sous les cils baissés d’Yvette, ce qui est passé est passé ; ce n’est plus qu’un mauvais souvenir. Et ces souvenirs-là, on les cadenasse au fin fond de sa mémoire et on les laisse échapper le moins possible…
Tout le monde peut se tromper… Tu n’as pas été la première et tu ne seras pas la dernière… Il s’agit que
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