la tondue
différente. Elle ne l’avait pas repoussé, mais son visage triste et ses yeux fuyants l’avaient surpris puis peiné. Bien sûr, il n’avait pas joué franc-jeu avec elle. Mais comment lui avouer, maintenant, qu’il s’était servi d’elle pour découvrir la vérité sur la disparition de ses parents ?
Comment lui faire comprendre qu’il l’aimait vraiment, même si au début, ses assiduités étaient intéressées ? Il s’était pris au charme de ces dimanches champêtres, de ces promenades romantiques au bord de l’eau. Il croyait soutirer des renseignements à ces jeunes ignorant son histoire, et c’était lui qui était tombé dans le piège tendu par de grands yeux craintifs, un maintien très réservé et une fille aux abois.
Car il n’avait pas tardé à constater qu’Yvette était tourmentée par les souvenirs de son passage à Paris. Il avait vite compris que la vie d’Yvette dans la capitale n’avait pas été ce qu’elle racontait. Pour lui qui connaissait sa ville sur le bout des doigts, les pauvres mensonges de la jeune fille prêtaient à sourire. Elle, si réticente sur son travail, ses connaissances et ses relations, s’oubliait parfois à raconter les pièces de théâtre qu’elle avait applaudies, les soirées dans des hôtels où elle n’aurait jamais pu mettre les pieds, si elle avait été celle qu’elle prétendait. Une fois, même, elle avait été jusqu’à caricaturer Laval, sortant avec sa démarche campagnarde de l’ambassade d’Allemagne. Tandis que tout le monde était secoué de rire, elle s’était sûrement rendue compte de sa bévue car elle avait rougi jusqu’à la racine de ses cheveux et s’était assise rapidement pour cacher sa confusion.
David, lui, avait sa petite idée : il était persuadé qu’elle avait été la maîtresse d’un personnage important, d’un puissant de l’heure, un de ces profiteurs de l’Occupation. Elle avait sûrement rompu à la fin de la guerre, mais restait marquée à jamais par cette aventure, au point de ne pouvoir en parler : honte ou douleur, le saurait-il un jour ?
Mais voilà encore qu’il s’égarait : bien sûr qu’il allait savoir la vérité, il allait la lui demander tout à l’heure. Il lui expliquerait pourquoi, lui aussi, au début, avait caché ses recherches et lui ferait comprendre que son passé, aussi sordide qu’il ait pu être, ne l’intéressait pas et ne modifiait pas son amour pour elle. Elle comprendrait, et tous deux pourraient… À ce moment, il jeta un coup d’œil au réveil qui tique-taquait sur la table de nuit et bondit vers son blouson, en constatant qu’il était près de trois heures et qu’ Yvette devait l’attendre depuis un bon bout de temps déjà.
En chemin, tout en pédalant ferme, il repensa encore à l’attitude plus que réservée de la jeune fille. Il se rappela aussi les regards étranges et soucieux que lui avait lancés Jacques un des derniers dimanches où il l’avait aperçu. Il en conclut qu’il s’était sûrement passé quelque chose pour que le frère et la sœur aient tant changé.
L’été était revenu, le temps était superbe. Dans les prés, chantaient les grillons et les grandes marguerites balançaient à la brise, leur tête dentelée. Jour après jour, le soleil devenait plus chaud, et les chiens étendus de tout leur long, les yeux mi-clos, faisaient de temps en temps claquer leurs mâchoires pour happer au passage une mouche téméraire.
Quand David arriva au lieu de rencontre habituel, et qu’il eut salué tout le monde, il se tourna vers Yvette et la rejoignit en souriant. Il lui entoura les épaules de son bras, mais la jeune fille ne réagit pas et baissa les yeux, comme honteuse. Surpris et peiné, le jeune homme lança à brûle-pourpoint :
« Mais enfin, que se passe-t-il ? Tu étais gentille avec moi, tu disais que tu m’aimais et je pensais qu’il suffirait de peu de chose pour que nous soyons heureux. Et puis voilà que tout à coup, sans aucune raison, tu te mets à faire la tête... Explique-toi !
— Je ne te fais pas la tête.
— Non ? Et quoi alors ? rétorqua-t-il, je ne sais ce qui se passe : si je t’ai vexé ou quoi, mais j’aimerais bien que tu me l’expliques. »
Yvette le regarda, éperdue, et, après un long silence, demanda d’une voix tremblante
« David, explique-moi : pourquoi es-tu venu, ici, à Venède ? »
Il sursauta et s’écria d’un ton
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