la tondue
conserver et agrandir cette terre, il ne faudrait pas que lui, maintenant, laisse tout tomber… »
Elle était si préoccupée qu’elle en oubliait ses habituelles tracasseries contre les uns ou les autres. Les élections municipales qui agitaient la commune et les communes environnantes n’arrivaient pas à la distraire.
Le père comprenait son angoisse mais cherchait à la rassurer.
« Laisse-le faire. Il faut bien que jeunesse se passe. Quand il aura fini son temps, tout se calmera. C’est la première fois qu’il quitte le pays. Tout est nouveau pour lui, c’est normal qu’il en profite un peu… Ne te fais pas de soucis ! »
Clémence haussait les épaules, s’essuyait les yeux et, elle si prompte à la répartie, ne trouvait rien à répondre.
Yvette s’ennuyait ferme. Le départ de son frère l’avait privée de cette complicité qui s’était instaurée depuis son arrivée. Jacques lui manquait. Il lui manquait d’autant plus que les visites de David devenaient rares et froides comme un jour d’hiver. Il lui arrivait de venir faire un tour, il s’arrêtait devant le groupe de jeunes avec lequel elle passait les après-midi du dimanche, en compagnie de Paulette. Il saluait tout le monde à la ronde, touchait quelques mains, restait un peu de temps à bavarder tout en évitant soigneusement son regard, ensuite, il sautait sur son vélo et reprenait, en pédalant, le chemin de la ville…
Yvette avait de la peine à retenir ses larmes et, pour cacher sa détresse, se lançait dans des discussions passionnées à propos de tout et de rien… Avec une fausse exubérance, elle partait à la recherche de fleurs, de fruits ou d’un coin ombragé où la petite bande savourait biscuits et vin blanc qu’apportaient les garçons.
Yvette s’étonnait elle-même. Malgré l’abandon de David qui l’avait bouleversée, elle se sentait bien dans le pays. Elle était chez elle, à sa place, et ressentait une sérénité et une paix qu’elle n’avait jamais connues auparavant… Elle s’émerveillait des premiers bourgeons, des crépuscules d’été comme des couleurs de l’automne… Elle goûtait les bons mots et les réparties pleines d’humour et de bon sens des paysans qui l’entouraient. Sous des apparences rudes et sauvages, ils avaient souvent un esprit fin et astucieux. Elle avait été adoptée et se plaisait au milieu de ces gens qui n’étaient pourtant pas réputés comme très accueillants. L’air vif comme la fraîcheur du soir la surprenaient toujours. Elle communiait à la nature et ne rêvait plus de grandes avenues, se demandant encore comment elle avait pu vivre si longtemps loin de son pays… La magie du village l’avait ensorcelée et la gardait sereine, en son sein, même si, quelquefois, certains souvenirs lui faisaient encore mal…
Malgré le départ de Jacques, le père avait acheté une paire de bœufs et s’efforçait de les dresser, ce qui n’était pas une chose facile. Yvette le suivait constamment, dirigeant les bêtes rétives, les gourmandant ou les félicitant suivant les dires de son père. La mère s’occupait des cinq vaches apportées par un maquignon. Elle s’efforçait de les étoffer un peu, car leurs os saillaient sous leur peau tendue. Elle expliquait que c’étaient de braves bêtes et qu’une fois soignées convenablement elles seraient aussi bonnes laitières que les précédentes…
Au cours d’une de ses permissions, Jacques était allé voir les animaux pour faire plaisir à sa mère. Il n’avait pas eu l’air de s’y intéresser outre mesure, mais avait approuvé, disant qu’on arriverait à tirer quelque chose de ces bêtes. Par contre, il n’avait jeté qu’un regard indifférent aux bœufs dont son père était si fier…
La mère avait vu là un mauvais signe et ne cessait de soliloquer : « Qu’allons-nous devenir ? Tout cela pour rien ! Dire que j’ai fait ce que j’ai fait pour en arriver là ! » Voyant qu’Yvette la regardait, elle s’arrêta et lui dit :
« Tu ne peux pas comprendre ce que représente pour nous le départ de ton frère…
— Il n’est pas encore parti ! »
La mère haussa les épaules avec lassitude :
« C’est tout comme, cela ne va pas tarder…
— Je crois que tu te trompes. Jacques aime le pays et son métier. Il resterait, s’il voyait que vous êtes avec lui, mais…
— Tu veux dire qu’il est contre nous ! Il te l’a dit ?
— Mais non, il
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