la tondue
voulons habiter ni chez les parents de Paulette, ni chez les miens… Je sais, tout le monde l’a fait jusqu’ici, mais il est temps que cela change. Oh, il va y avoir des cris des deux côtés, mais nous tiendrons bon… Tu as pensé aussi à la vie de Paulette si je l’amenais à la maison avec la mère… Nous comptons sur toi pour nous aider à convaincre les parents. »
Yvette hocha la tête sans rien dire, consciente du fait qu’elle n’aurait pas beaucoup de poids…
« Ensuite, nous irons nous installer à la ferme de Ségala, je demanderai aux parents de nous la louer…
— La louer ? Ils peuvent te la donner, autrement, avec quoi paieras-tu le fermage ?
— Avec mes bénéfices, évidemment. »
Yvette réfléchit. Ce projet lui paraissait un peu prématuré. Jacques et Paulette étaient aveuglés par l’amour ou la jeunesse. Elle se tourna vers son frère et lui dit :
« Je crois que tu t’avances un peu. Vous voulez rester à la terre mais ne pas vivre avec les parents. Pourtant ce sont eux qui ont les bêtes, les outils, les champs. Si vous les vexez et qu’ils vous battent froid, que ferez-vous ?
— S’il le faut, je quitterai le village et je m’embaucherai dans une entreprise de Mende, mais je t’avoue que je ne voudrais pas en arriver là : j’aime mon travail et cela me ferait mal au ventre de tout quitter… Les parents aussi vieillissent, et le père ne pourra pas, tout seul, s’occuper de deux fermes, il sera bien obligé de me garder ! Je sais que nous n’avons rien, mais je peux travailler avec le père et on partagera les bénéfices… Dès que nous le pourrons nous moderniserons : tracteur, étable, grange…
— Tu te figures l’argent qu’il te faudra ! La mère n’avait pas tout à fait tort…
— Je ne veux pas de son argent. Nous savons d’où il vient… »
Ils restèrent un long moment silencieux, puis, Jacques demanda abruptement :
« Et toi, comment ça va avec David ? »
Cette question prit Yvette au dépourvu et elle éclata en sanglots incapable de se retenir. Elle tremblait et hoquetait. Toute sa peine, soigneusement enfermée et cachée depuis plus de six mois, ressurgissait et s’exhalait en une plainte douloureuse et monotone qui, au lieu de la calmer, la laissait haletante et faisait couler ses larmes sans pouvoir les arrêter. Jacques, surpris par cette douleur si brutalement exprimée, la pressa contre son épaule, lui murmurant tout bas comme à un enfant :
« Ne pleure pas, Yvette, ne pleure pas, c’est un lâche, il n’en vaut pas la peine, laisse-le tomber…
— N… non, rétorqua-t-elle entre deux sanglots ; il a raison, que veux-tu que nous fassions si nous n’avons pas confiance. Mais moi je l’aime…
— Et lui ?
— Il disait qu’il m’aimait aussi. Mais, maintenant, je ne sais pas, je ne sais plus…
— Pourquoi t’a-t-il quittée, si vous vous aimiez ? Vous vous êtes disputés ?
— Oui, non… C’est plutôt qu’il m’a dit que je lui cachais quelque chose. Moi, je lui ai répondu que lui aussi me cachait des choses. Il ne m’a pas dit non, mais il a dit que si nous étions incapables de nous faire confiance, il fallait en rester là. Et il a raison. Tu me vois lui avouer que ma mère a dénoncé ses parents, que j’ai vécu avec un Allemand et que j’ai été tondue à la Libération… Oh ! »
Elle mit une main devant sa bouche, comme pour arrêter les mots qu’elle venait de dire, consciente d’être allée trop loin et d’avoir lâché un des secrets qu’elle tenait enfouis si profondément…
« N’aie pas peur, lui dit Jacques, je me suis douté de quelque chose dès ton arrivée. Quand je suis venu te chercher à la gare, malgré les airs de grande dame que tu voulais te donner, tu étais comme un chaton meurtri que l’on a jeté dans un seau d’eau… »
Elle sourit à travers ses larmes :
« Que veux-tu que je fasse ?
— Moi, à ta place, je lui raconterais tout. S’il t’aime, comme il le dit, il te pardonnera… Bien que… Je me demande… Il n’a rien à te pardonner, tu vivais ta vie comme tu l’entendais à ce moment-là ; il n’y a rien à y voir…
— As-tu pensé à ses parents, persécutés et tués par les Allemands ?
— Oui, je sais bien… »
Ils se turent tous deux et reprirent lentement le chemin du retour. Avant de se séparer, Jacques l’embrassa et lui dit :
« À ta place, je lui dirais tout. Qu’est-ce
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