la tondue
la journée, avec juste une demi-heure pour dîner… Et pour gagner quoi ? Quarante sous par jour, une misère ! »
Il se tourna vers Yvette :
« Ta pauvre mère y venait aussi. On se crevait, c’est sûr mais on riait, on riait… Hé oui, c’était le bon temps, nous avions tous une vingtaine d’années… »
Les jeunes le dépassèrent, le laissant à ses souvenirs et il reprit sa marche, un peu plus voûté.
À Saint-Privat où le matin sentait la mousse et l’humidité, tous se hâtèrent vers la chapelle, pour entendre la messe, se confesser et communier. Yvette se sentit emportée par la ferveur de cette foule qui priait en silence et où seuls montaient, sous la voûte, les réponses rapides des enfants de chœurs, agenouillés autour de l’autel.
Elle lança un regard à la Vierge souveraine et s’étonna de l’avoir trouvée si belle, autrefois. La peinture, encore vive n’avait rien de remarquable et l’expression des angelots lui parut très mièvre : « Ah , que c ’ est beau l ’ enfance ! » pensa-t-elle avec nostalgie. Elle s’engloutit dans la prière et Paulette dut la pousser du coude pour aller communier.
Le prêtre avait à peine quitté l’autel qu’un autre prêtre commença une autre messe et que les pèlerins suivants prirent la place des premiers. Cela durerait ainsi tout le matin, jusqu’à la messe de onze heures. La foule s’était disséminée sur l’esplanade, au pied de la grotte.
Le joyeux groupe chercha alors un coin pour déjeuner. Comme le soleil avait daigné se montrer et réchauffait un peu la campagne, ils décidèrent de s’installer sur une hauteur surplombant la ville, d’où montait une rumeur incessante. Ils tirèrent de leurs sacs saucisson, jambon et fromage qui furent engloutis en quelques coups de dents ; puis ils grimpèrent la cinquantaine d’escaliers pour monter aux grottes supérieures… Ils durent attendre que les groupes aient fini leurs dévotions pour pénétrer à l’intérieur des deux réduits obscurs où flottaient des relents d’eau croupie et de mousse en décomposition, pour dire le Pater et l’ Ave du pèlerinage.
Ils redescendirent ensuite, non sans avoir admiré au passage la foule bigarrée qui grouillait sur l’esplanade et la ville de Mende qui émergeait lentement de la brume.
En posant le pied sur la dernière marche, Yvette sursauta et faillit pousser un cri : David les attendait, souriant, inconscient des remous que sa vue provoquait en elle.
« Bonjour, fit-il. J’ai rencontré Paulette hier à Mende et j’ai décidé de monter, moi aussi, pour faire le pèlerinage. »
Il ajouta, après une hésitation :
« Après tout, je suis catholique aussi. »
Yvette le considéra avec espoir : se serait-elle trompée ? Et si tout cela n’était qu’un mauvais rêve, une histoire qu’elle se serait racontée, un véritable cauchemar ? Mais pourtant, c’était bien la photo de David qu’elle avait trouvée, et la personne qu’il tenait par le cou était bien celle qui s’était cachée dans le château, pendant la guerre et que tout le monde appelait l’étrangère… Yvette ne savait plus que croire : si David était catholique, il n’était pas juif. C’était à n’y rien comprendre…
Elle quitta la bande, alla s’accouder au mur de pierre qui surplombait la montée de Mende et resta silencieuse à contempler, sans la voir, la vue magnifique qui s’offrait à elle. La cathédrale aux clochers inégaux se dressait fièrement au milieu des maisons plus ou moins modestes qu’enserrait une ceinture de platanes. Le vert vif de leurs feuilles enchâssait la petite ville et lui donnait un air joyeux et déluré. Quelques bâtiments tranchaient dans cette morosité : prison, gare ou collège, posés, comme des pions de part et d’autre du pâté de maisons du centre ville…
Et tout à coup, il fut près d’elle. Il laissa errer ses yeux, un moment sur la ville et murmura sourdement :
« Beau tableau, en vérité, on regrette de n’être pas peintre devant une telle merveille. »
Yvette ne répondit pas et continua de contempler la ville.
David respecta son silence mais tourna le dos au paysage pour lui faire face et attendit qu’elle voulût bien lui parler. Les gens passaient et repassaient, l’air indifférent, sans leur accorder un regard.
Finalement, comme Yvette ne bougeait toujours pas, David lui dit :
« Yvette, je voudrais comprendre…
— Quoi ?
Weitere Kostenlose Bücher