la tondue
de robes souples et seyantes, la taille basse comme c’était la mode à l’époque, agréablement parfumée, une écharpe de gaze entourant son cou mince, était pour nous, en plus de la maman adorée, une véritable princesse des mille et une nuits !
Les soirs où mes parents sortaient, elle montait dans nos chambres nous faire admirer ses toilettes et nous applaudissions à deux mains, cette superbe créature qui était aussi notre mère. “Ne m’embrassez pas, ce soir, mes chéris, vous allez abîmer mon maquillage. Quand je rentrerai, je vous promets de venir vous donner votre baiser, mais pas maintenant !”
Mon père riait, en nous embrassant, lui, et disait : “Ne croyez-vous pas qu’elle se donne des airs de star : Vous allez abîmer mon maquillage ! Tiens donc !” Et il riait en la regardant avec amour.
Bref, ce furent des années très heureuses… Bien sûr, nous savions que nous étions d’origine juive. Mais cette ascendance se perdait dans la nuit des temps et puis maman appartenait à une famille qui, bien que d’origine juive, s’était convertie au christianisme depuis longtemps. Elle nous avait fait élever dans sa religion et nous nous sentions des Français cent pour cent. C’était si vrai que notre grand-père paternel, Emile Lévy, avait donné sa vie pour la France, à Verdun. Il avait reçu la Légion d’honneur à titre posthume. Ses décorations étaient exposées au-dessus de la cheminée du salon, et nous les regardions avec un grand respect.
Nous avions fait nos études dans des collèges religieux parmi les plus huppés et, après le baccalauréat, mon frère décida de choisir la carrière d’avocat alors que je me dirigeais vers la médecine.
De nos années d’étudiants que dire ? Ce fut une période studieuse et en même temps fort joyeuse. Mon frère et moi retrouvions, au quartier Latin, d’autres étudiants et nous refaisions le monde à notre manière… En ces années trente, beaucoup d’événements secouaient la planète. Nous nous passionnions pour l’existentialisme. Nous lisions Sartre, Camus, Beauvoir, et discutions, parfois jusqu’au petit matin, de l’absurdité du monde, de la place de l’homme dans l’univers et des philosophies à la mode…
Nous allions aussi voir les films de Cocteau, René Clair et d’autres… Mais notre grande préoccupation était la politique. Hitler dominait l’Allemagne, la vieille Russie était devenue l’U.R.S.S… Quelques-uns d’entre nous s’inscrivirent au parti communiste. D’autres, comme moi, rêvaient de liberté, de fraternité et de paix universelle…
C’est alors qu’éclata la guerre d’Espagne. Ce fut une période de longues et stériles discussions… Certains défendaient Franco, d’autres partaient s’engager dans les Brigades internationales. Mon frère y songeait mais mon père l’en dissuada, disant que le temps viendrait où il faudrait songer à défendre notre propre pays.
Il ne se trompait pas, hélas… J’en étais à ma deuxième année de médecine quand éclata la guerre. Nous étions en vacances à Biarritz avec ma mère ; mon père quittait rarement le magasin et les fêtes succédaient aux fêtes… Nous savions bien que la tension montait mais, comme Daladier à Munich, nous pensions que tout finirait par s’arranger et que l’on arriverait à calmer cet enragé d’Hitler qui jouait à l’apprenti sorcier et guettait l’Europe comme un renard sa proie…
Hélas, cette fois ce fut la guerre. Mon père nous rappela à Paris. Il envoya un de ses amis nous chercher car les trains étaient bondés. Nous mîmes trois jours pour rentrer et ce fut la fin de nos années de bonheur… »
XXVII
Résistance
Yvette écoutait, en silence, ce récit de la vie de David.
Il s’était accoudé à un rocher et ne la regardait pas. Il laissait ses yeux se perdre vaguement vers l’horizon qui, au-delà de la ville, se diluait en une ligne vert-bleu d’où émergeaient, de place en place, un village au clocher pointu et de minuscules maisons aux reflets bleutés.
David laissa couler le temps, se pencha, cueillit une petite fleurette blanche perdue entre les aiguilles de pin, puis continua :
« Et ce fut la guerre, la mobilisation, l’exode… Je passe sous silence ces épisodes, tu les as entendus raconter cent fois ; je te dirai seulement que mon frère Julien dut partir du côté des Ardennes défendre l’invisible ligne Maginot ! Pendant la “drôle de
Weitere Kostenlose Bücher