la tondue
guerre”, il se retrouva sur les routes pilonnées par l’aviation allemande et battant la retraite vers Reims d’abord puis Paris. Moi, je ne fus pas appelé, on me laissa à mes études et c’est ainsi que je m’installai dans la guerre. Au début, après la stupéfaction de la défaite, la vie continua. Une vie qui nous jetait à la face, tous les matins, des soldats allemands à la parade ou parcourant la ville en groupes, riant et plaisantant. On ne pouvait faire un pas sans les croiser et, en un rien de temps, cela devint banal !
Les vacances étaient arrivées plus tôt que prévu. Ma troisième année de médecine terminée avec brio, je pensais passer d’agréables vacances, malgré la guerre et les occupants ; le gouvernement de Vichy en décida autrement. En octobre 1940 parut le statut des juifs et mon père ne put plus gérer seul ses affaires. On lui adjoignit un représentant du gouvernement qui vint contrôler le magasin, vérifia les fourrures, se fit montrer les ateliers de confection et partit en emportant tous les papiers du magasin… Par bonheur, mon père, prévoyant ce qui allait se passer, avait réussi à cacher une partie de ses économies et les bijoux de ma mère…
Le magasin fut vendu pour une bouchée de pain à un aryen de pure race, en l’occurrence un collaborateur notoire qui, ne comprenant rien aux fourrures, laissa péricliter l’affaire ; elle fut mise en liquidation moins d’une année après. Mon père avait, depuis quelque temps déjà, pris conscience de la montée du racisme et prévu cette chasse aux juifs qui se mettait en place. Il prépara, en secret, notre passage en zone libre. Mais, quand il nous fit part de son projet, ni mon frère ni moi ne voulûmes quitter Paris. Ma mère usa de tout son charme, mais rien n’y fit…
Mon frère fréquentait Marie, une jeune étudiante engagée et très hostile à Hitler. Elle était partie faire la guerre d’Espagne et parlait déjà de résistance à l’ennemi. Elle disait qu’il était lâche de fuir et qu’il fallait résister par tous les moyens.
Mon père, lui, soutenait que contre la force il n’y avait aucune résistance possible et que, pour le moment, on devait se laisser oublier… Marie croyait en un sursaut de la France et mon frère partageait son enthousiasme. Mon père s’obstina dans son idée de départ et ce fut le premier nuage dans le ciel familial. Quant à moi, je refusais d’abandonner mes études ; mais, à la rentrée, l’université ferma ses portes aux étudiants d’origine juive et je fus donc rejeté…
Ma mère imagina alors un stratagème qui m’a sûrement sauvé la vie. Depuis que j’étais né, je connaissais Èlisa, qui faisait tout à la maison. À la fois cuisinière, femme de charge, femme de ménage, elle faisait partie de la famille. Elle habitait un petit pavillon, pas très loin de chez nous, d’où elle venait, à pied, chaque matin, et où elle repartait le soir. Depuis juin 1940, elle avait recueilli sa sœur, une veuve qui, descendue du Nord avec le flot des réfugiés, avait vu son fils tué sous ses yeux, lors d’un bombardement. La pauvre femme en avait à moitié perdu la raison et n’avait fait aucune déclaration de décès, ce qui inquiétait Èlisa. Ce neveu, Louis Durand, avait un an de plus que moi. Ma mère suggéra de me faire passer pour lui. On enleva la photo de Louis Durand sur les papiers officiels et on y colla la mienne. Je devins Louis Durand, né le 24 octobre à Roubaix, fils de Louis Durand, décédé, et de Marguerite Marron, ouvrière d’usine.
Mon père donna une grosse somme à Èlisa pour subvenir à nos besoins. Èlisa n’avait jamais eu tant d’argent en sa possession elle n’en croyait pas ses yeux, et je m’installai chez elle.
Il fallut chercher une autre université car j’étais trop connu à la Sorbonne et au quartier Latin… On choisit celle le plus au nord de Paris qui avait l’avantage d’être la plus éloignée de notre ancien quartier. Èlisa chercha et trouva un appartement dans les environs. La vie s’organisa. Je décidais d’aller aux cours en vélo, je dis au revoir à mes parents qui passèrent, sans encombre, la ligne de démarcation du côté de Nevers… Je ne devais jamais les revoir… »
David s’interrompit, en proie à une émotion qu’il n’arrivait pas à surmonter. Aux alentours, la forêt craquait des mille bruits de sa vie grouillante, les ombres s’allongeaient et les
Weitere Kostenlose Bücher