la tondue
Quand je le verrai, je penserai…
— Oh, on n’en est pas encore là !
— Non, mais vous vous y acheminez et, je te connais, ma petite fille, s’il te le demande, tu ne diras pas non ! »
La jeune fille sourit mais ne répondit pas. Le père, avec un soupir, repartit, le dos courbé, vers ses fagots de frêne.
XXV
Le pèlerinage
La montée était rude. Le ciel, encore sombre, s’éclairait déjà, à l’est, de timides lueurs qui s’animaient et montaient de plus en plus, dévoilant les villages et les champs environnants. Les cailloux roulaient sous les pieds et gémissaient en grinçant. Des lambeaux de brume tachetaient la vallée, laissant apparaître, au hasard des coups de vent, un bois, un hameau ou un pré coupé de haies.
Un calme impressionnant baignait toute chose, ensevelissant les bruits, les emmitouflant dans une sorte de vapeur ouatée et lointaine qui noyait le chant matinal des coqs ou le beuglement placide de vaches en rêve de maraude.
En ce tout début de matinée, Yvette, Jacques, Paulette, Lucien, Bernard, Jeannine et d’autres partaient pour le pèlerinage annuel de Privat, cet ermite qui avait évangélisé la Lozère, passé sa vie dans une grotte pendue au flanc de la montagne et finalement avait été assassiné par une bande de barbares venus de l’est…
Se rappelant vaguement cette histoire, Yvette revoyait cette grotte pendue entre ciel et terre, et cette chapelle dont la voûte couronnée d’une immense vierge glorieuse soutenue par des angelots aux chairs roses et aux sourires joufflus, l’avait tant impressionnée, autrefois, quand elle l’avait découverte, en compagnie de sa grand-mère, au terme d’une longue route suivie d’une descente à pic avec une admirable vue sur la ville de Mende…
Aujourd’hui, elle retournait vers ce lieu qui, autrefois, lui paraissait béni et divin. Elle suivait le mouvement et pensait que ce serait une halte, une sorte de journée de vacances, passée loin de la maison.
Depuis la réception de la lettre, David ne s’était pas manifesté. L’euphorie du premier jour passée, maintenant les doutes l’assaillaient et elle était obligée de toucher l’enveloppe qui ne quittait pas sa poche pour se rassurer et se persuader qu’elle n’avait pas rêvé cette demande de rendez-vous.
À mesure que passaient les jours, elle n’arrivait pas à éloigner ce bloc de pierre qui lui oppressait la poitrine, l’éveillait la nuit et minait sourdement la moindre de ses tentatives d’évasion.
Elle essayait de comparer ses fautes à celles qu’elle attribuait à la mère et elle en arrivait à la conclusion que, elle, Yvette, avait des excuses, même sans parti pris ; alors que Clémence n’en avait aucune, si ce n’est l’appât du gain, la plus sordide de toutes… Et puis, elle, si elle avait fauté, elle n’avait jamais fait de mal à personne, alors que la mère… Mais là, elle s’arrêtait, tremblante de honte et pensait à David. Comment pourrait-elle jamais lui parler de son passé, et en plus de la trahison de la mère ! Elle frémissait d’horreur à la pensée qu’il pourrait tout découvrir… Et pourtant, elle ne voulait pas lui cacher des faits si importants pour elle et pour lui qui pleurait ses parents… De n’importe quel côté qu’elle se tournât, le problème demeurait pratiquement insoluble et se soldait par la rupture. Cela la désespérait… Et ce matin, si elle faisait route vers Saint-Privat, c’était, avec le reste de foi que lui avait légué sa grand-mère, pour implorer de ce saint qu’elle obtienne l’impossible…
Du chemin de Langlade montaient des coups de sifflet aigus et des cris effarouchés. Les garçons répondirent et les deux groupes se rejoignirent à l’entrée du causse. Le causse, sans brouillard, étalait ses pins noirs, ourlés d’un halo plus sombre, tout le long de la route, laissant la vallée envahie de brumes se réveiller lentement…
La joie de se revoir fit trouver courte la traversée du plateau. Les pèlerins entrèrent d’un bon pas dans un chemin de terre rouge, bordé de cailloux aux formes torturées. Ils marchèrent dans de grands bois où les pins montaient à l’assaut du ciel qui se dégageait, lentement, de sa gangue de nuit.
Camille Bardin, que le groupe avait rejoint, leva sa canne et la pointa vers le sommet des arbres, expliquant avec fierté :
« J’y étais, moi, quand on les a plantés, ceux-là. On y passait
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