la tondue
nous abriterons là-bas. » Ils hâtèrent le pas et passèrent à travers champs pour gagner du temps… Ils arrivèrent bientôt face à la bâtisse qui, sous le ciel menaçant, semblait se tasser et confondre la grisaille de ses murs avec celle des nuages qui s’avançaient, de plus en plus menaçants. Les premières gouttes s’écrasaient sur le perron quand ils atteignirent le château.
Le tonnerre grondait dans un fracas assourdissant que l’étroitesse de la vallée renvoyait d’un versant à l’autre, en une plainte sauvage et amplifiée…
Ils s’abritèrent sous l’auvent de la porte et David essaya de l’ouvrir, mais sans y parvenir… Maintenant, l’orage se déchaînait et, le vent venant à la rescousse, ils furent bientôt trempés sous leur fragile protection.
David saisit alors la main de sa compagne et la tira vers la cave dont la porte, mal attachée, battait au vent de plus en plus fort. D’un coup d’épaule, David fit sauter la serrure rouillée et la porte s’ouvrit toute grande en un grincement prolongé. Une odeur d’abandon et de moisi les saisit à la gorge quand ils pénétrèrent dans l’antre obscur, où, seul, le vide régnait en maître.
Quand leurs yeux se furent habitués à la pénombre, ils distinguèrent, dans le fond, une porte que recouvraient des lichens et des mousses. David s’avança et la secoua. Elle s’ouvrit, presque sans efforts, sur un couloir verdâtre où dormaient des chauves-souris, la tête en bas. Yvette s’avança, curieuse. Ils suivirent un moment l’étroit conduit qui les mena jusqu’à un escalier qu’ils gravirent en se tenant par la main. Ils arrivèrent, le cœur battant, et, à leur grande surprise, débouchèrent au centre même de la maison, en face de la porte d’entrée…
« Hé bien, dit David, si j’avais cru… »
Ils avancèrent et se trouvèrent dans une grande salle éclairée parcimonieusement par deux hautes fenêtres dont les volets délabrés laissaient passer un peu de la lueur du jour. Immobiles et muets, ils contemplaient ce qui avait dû être la pièce principale du foyer où les parents de David avaient vécu, en proie à la peur… Dans le clair-obscur qui baignait toute chose, un vieux fourneau de tôle aux boutons de laiton gardait encore la trace de la dernière flambée, des tisons noircis que personne n’avait pensé à retirer du foyer…
Sur le buffet campagnard terni par la poussière les assiettes et les verres, alignés comme à la parade, attendaient les convives. Les chaises, soigneusement rangées contre le mur, invitaient à s’asseoir… Mais le plus triste était ce petit bouquet de fleurs des champs desséché et noirâtre, qui trônait encore au milieu de la table ! David éclata en sanglots et se précipita sur les fleurs, les portant à ses lèvres… Hélas ! Dans ses mains, il ne serra bientôt qu’un tas de poussière informe qui lui barbouilla le visage…
Yvette contemplait, muette, cette scène. Elle n’osait faire un geste… De longues minutes s’écoulèrent avant que le jeune homme ne se relève et se dirige, en silence, vers les pièces du haut. Le tonnerre roulait toujours dans le lointain et l’eau ruisselait dans les gouttières faisant un clapotis monotone qui remplissait le silence du lieu en un murmure sans fin…
Une chambre apparut à la dernière marche. Sur le lit, un matelas rayé disparaissait presque sous un couvre-lit de coton blanc impeccablement tiré. Sur la table de nuit, un livre voisinait avec un tas disparate de vieux papiers jaunis. David ouvrit une armoire qui s’avéra vide. Ils découvrirent tout cela, avec stupeur, du premier coup d’œil. Lentement, presque religieusement, David s’approcha de la table et saisit le livre qui dégagea un nuage de poussière. Il en montra le titre à Yvette : Le Diable au corps , de Raymond Radiguet. À travers ses larmes, il eut un sourire attendri :
« Ah, je reconnais bien là ma mère… »
Il se tut un instant, feuilleta le livre et hocha la tête en continuant :
« Oh oui, c’est bien ma mère… Toujours à lire les derniers romans à la mode. Même ici, elle arrivait à trouver ses lectures favorites… »
La poussière recouvrait toute chose, et, dans lapénombre aggravée par l’orage, ils distinguaient mal le contour des objets. David se dirigea vers la fenêtre et essaya de l’ouvrir pour pousser les volets ; mais Yvette arrêta son geste : « Laisse, on n’a pas besoin
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