la tondue
de nous voir ici, on se poserait des questions. »
Une peur indéfinie lui tordait l’estomac et la rendait nerveuse. David haussa les épaules, ne comprenant rien à son inquiétude, mais n’ouvrit pas et continua l’inspection de la maison dans la lumière glauque qui baignait toute chose.
Deux autres pièces quasiment vides s’ouvraient de part et d’autre de la chambre visitée ; mais, contrairement à elle, il régnait là un désordre indescriptible, et le sol était jonché de papiers… David se pencha pour les examiner. C’étaient des morceaux de vieux journaux, de papiers d’emballage et de boîtes vides aux couvercles, déchirés. Un recoin obscur, où des piles encore intactes semblaient renfermer des souvenirs, attira rapidement David… Il s’agenouilla sur le sol poussiéreux et commença à fouiller dans les tas apparemment intacts. Au bout d’un moment, il se releva, déçu et amer…
« Rien, rien ; que des vieilles factures ou des coupures de presse gardées on ne sait pourquoi… »
Ils redescendirent, escortés par le bruit de la grêle qui, maintenant, martelait le toit à grand fracas, accompagnée du glougloutement lancinant de la pluie s’écoulant dans les chenaux. La porte d’entrée était seulement verrouillée de l’intérieur et David l’ouvrit en la tirant d’un geste brusque. Elle lança un gémissement de protestation quand elle tourna sur ses gonds et ils durent s’écarter devant l’invasion de l’eau qui, en un rien de temps, se faufila dans la cuisine, à peine freinée par la couche épaisse de poussière accumulée là depuis des années…
Yvette, mue par un sentiment de panique qu’elle ne pouvait ni expliquer ni contrôler, ne put s’empêcher d’examiner attentivement le paysage qui unissait l’horizon brumeux et humide au sol totalement ruisselant. Et, à travers les rayures blanches de la grêle, elle crut apercevoir une silhouette familière qui, apeurée, s’éloignait en boitillant, de sa cachette d’arbres.
Elle eut un sursaut, et David qui n’avait rien vu lui demanda :
« Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien, rien », répondit-elle, mais, au fond d’elle-même, elle sentit monter une terreur sans proportion aucune avec l’apparition entr’aperçue.
XXX
Le camp de Rieucros
Ce jour-là, le vent soufflait en rafales qui courbaient les arbres dépouillés et sifflait en passant sur le sommet des pins qui recouvraient le versant du causse.
Yvette, son sac en bandoulière, traversait encore une fois le plateau pour rejoindre David qui l’attendait en ville. Elle avait prétexté une rage de dents pour être libre toute la journée, et le sixième sens de la mère ne l’avait pas avertie que la rencontre avait été préparée lors de la visite du château. Yvette et David avaient pris rendez-vous, en cette sinistre journée d’automne, pour aller visiter le camp de Rieucros, où la mère du garçon avait passé quelques mois avant d’être transférée à Brens, dans le Tarn, et de là à Auschwitz…
David voulait rechercher ce qui restait encore des modestes baraquements où avaient vécu, dans un état de solitude, de détresse et de pauvreté, jusqu’à plus de cent femmes et enfants.
Il savait, depuis son arrivée en Lozère, que sa mère avait passé là de longs mois, coupée du monde. Il voulait depuis longtemps venir en pèlerinage dans cette vallée encaissée, pour la retrouver, mais le courage lui avait toujours manqué… Avec Yvette à ses côtés, il se sentait plus fort, mais redoutait toujours le choc qui l’attendait.
Yvette était consciente de la souffrance du jeune homme et lui avait conseillé d’attendre. Il était encore traumatisé par la mort de ses parents et par leur souvenir. Elle pensait qu’il fallait laisser passer le temps, mais David n’avait pas voulu l’écouter : il était venu en Lozère pour retrouver les traces des siens et il comptait le faire jusqu’au bout !
Il avait réussi à rencontrer un vieil Espagnol qui avait connu son père à la résistance. Son père avait eu des contacts avec le groupe Bir Hakeim. Il s’était enrôlé dans ce maquis. Il se trouvait à la ferme de la Borie quand les Allemands avaient donné l’assaut. Il était mort en combattant. L’Espagnol qui lui avait fait ce récit, voyant l’intense émotion de David, avait conclu :
« Ne pleure pas, c’est une chance pour lui qu’il se soit trouvé parmi les morts. Quand on voit ce
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