la tondue
ici ne rappelait le drame qu’y avaient vécu des femmes quelques années auparavant, si ce n’est quelques morceaux de barbelés oubliés que les herbes recouvraient et que la rouille rongeait…
Yvette regardait avec étonnement ce lieu si calme que la nature rendait lentement à l’oubli…
David, appuyé au mur, tournait le dos à la maison et paraissait rêver devant le paysage qui lui faisait face. Elle s’approcha et le surprit en larmes, incapable de se contrôler :
« David ! » s’exclama-t-elle. Mais elle s’arrêta.
Que lui dire, que faire pour qu’il arrive à oublier ? Elle se glissa près de lui et passa affectueusement son bras sur ses épaules. Là, sa joue contre la sienne, elle lui murmura :
« Parle-moi d’elle. Dis-moi, à moi qui n’ai pas connu la mienne, comment elle était… »
David la serra contre lui mais ne répondit pas. Les larmes l’étouffaient, il savait que ce serait difficile, mais c’était pire que tout ce qu’il avait imaginé. Une femme belle et délicate comme sa mère, avoir vécu la promiscuité, les privations et les souffrances de cet horrible camp ! Voilà une chose qui le révulsait et l’obligeait à se détourner. Il ne pouvait pas regarder en face cette bâtisse ignoble, elle lui égratignait le cœur. Comme elle avait dû choquer le regard de sa mère… Il l’imaginait apeurée et craintive. Avait-elle même osé réclamer ce qui lui revenait : nourriture, couchette… Non, il ne pouvait y penser, il se sentait devenir fou…
Dire que par l’absurdité de cette horrible guerre, il se retrouvait seul sur terre… Sans famille…
Ils repartirent rapidement. David fuyait ce lieu qui lui paraissait maléfique et Yvette ressentait comme une sourde menace qui allait lui saper son bonheur retrouvé.
Ils reprirent le chemin en sens inverse, les yeux rivés au sol, la tête pleine de souvenirs et de rancœurs. Arrivés à l’embranchement de la route, ils découvrirent une plaque à moitié cachée dans le feuillage et qu’ils n’avaient pas remarquée en passant : « Ici vécurent en 1939-1942 , dans un camp de concentration , aux côtés de résistantes françaises , des femmes antifascistes réfugiées sur notre sol ; parmi elles des Allemandes et des Polonaises furent déportées à Auschwitz dont elles ne sont jamais revenues . HOMMAGE À LEUR MEMOIRE . »
« Quand même, ils ont eu un geste, remarqua David, après avoir lu silencieusement l’inscription, ils leur devaient bien ça !…
— C’est étonnant, murmura Yvette, que personne n’en parle et que tout le monde essaie d’en cacher l’existence.
— Oui, on monte en épingle des faits de résistance, c’est sûrement bien, mais, comme toujours, on oublie vite ce qui n’est pas spectaculaire… »
Ils se turent un long moment et, en approchant de la ville, David, un peu plus calme, proposa à Yvette : « Arrêtons-nous quelque part, pour boire. Je me sens complètement vide ! » Alors Yvette pensa que, depuis le matin, elle n’avait rien avalé. Quand ils furent installés devant une tasse de café fumant et un peu réchauffés, David sourit gravement et dit d’une voix sourde :
« Merci, je crois que, sans toi, je n’aurai jamais osé voir ça… Je me l’imagine si bien, seule, perdue au milieu de ces femmes. Seule, toujours seule, éternellement seule… Tous les quatre, séparés, chacun à attendre, à avoir peur, à souffrir dans notre coin… Seuls, seuls, seuls… » Yvette sentait des larmes lui piquer les yeux mais ne savait que répondre. David, d’ailleurs, s’en souciait peu. Il laissait son café refroidir dans la tasse et, fermant les yeux, revoyait les siens, sa mère surtout, dont il se sentait de plus en plus orphelin. Yvette tournait machinalement la cuiller dans sa tasse, tout en pensant aux prisonnières et à leurs enfants. Le silence s’éternisait. Tout à coup, David, se penchant, saisit les mains de sa compagne et lui dit :
« Maintenant, tu sais tout sur moi, mais toi, tu ne m’as rien dit de ta vie passée, tu ne crois pas qu’il serait temps de m’en parler ? »
Yvette le regarda et fit non de la tête.
« Pas maintenant, David, il faut que j’aille chez le dentiste. »
David soupira mais ne répondit rien. Yvette se leva, ramassa son sac, remit son manteau et s’en alla honteuse, comme si elle fuyait. Elle se rendait bien compte que tout lui était prétexte pour retarder le moment des
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