la tondue
qu’ils ont fait aux prisonniers de la Tourrette, crois-moi, il valait mieux qu’il soit mort… »
Renseigné sur le sort de son père, David voulait rechercher les traces de sa mère. C’était le but de ses visites en Valdonnez, où il savait qu’elle avait trouvé refuge. Elle y avait vécu six mois après le départ de son mari et puis – fatalité, dénonciation ou hasard… – la Gestapo avait connu sa présence et était venue l’arrêter. Enfermée à Rieucros, elle y avait partagé la peur et la misère de ses compagnes d’infortune.
C’est ce camp que David et Yvette avaient décidé de retrouver en cette fin de matinée grise et froide qui commençait de lever les voiles du brouillard sale qui recouvrait la vallée silencieuse. En suivant la route sinueuse et encaissée qui longeait un modeste ruisseau à peine murmurant, Yvette pensait qu’elle n’avait jamais supposé qu’il y eût un camp à cet endroit. Personne n’en avait jamais parlé. Et quand David avait insisté pour aller le voir, elle avait interrogé ses amis, le vieux Camille ainsi que Paulette. Tous avaient reconnu en avoir entendu parler une fois ou l’autre mais, n’en ayant rien à faire, ils ne s’en étaient pas préoccupés. Pourtant, tous sans exception savaient qu’il y avait eu un camp de femmes à Rieucros…
Le chemin était long, la voie étroite, les rares voitures qu’ils croisaient ou qui les dépassaient leur lançaient des paquets d’eau boueuse et glaciale qui les enveloppaient d’une croûte noirâtre…
Enfin, après un double virage étroit et cerné par une profusion d’arbres, apparurent un mur gris et une habitation parallèle à la route. Derrière la maison, un chemin de terre battue, regorgeant d’eau et paraissant à l’abandon, courait le long d’une pente dénudée, recouverte de cailloux avec, à mi-hauteur, une cabane aux murs croulants et à la porte noire qui pendait sur ses gonds… En suivant le sentier du regard, Yvette s’aperçut qu’il menait à une grande bâtisse, longue et basse, au pied d’une forêt de pins, à l’autre bout du désert pierreux. Elle paraissait abandonnée et prête à crouler sous le poids invisible des ans.
Ils prirent le chemin en silence et David lui saisit la main, comme pour se rassurer. Il semblait redevenu un tout petit garçon et Yvette pensa qu’il était prêt d’éclater en sanglots si elle risquait la moindre parole. Ils regardèrent le sentier auquel les arbres faisaient comme une voûte et, d’un pas décidé, s’y engagèrent ensemble. La boue affleurant de toutes parts, ils étaient obligés de marcher dans l’herbe du bord. Les branches les griffaient et, dans leur dos, dégoulinaient des averses de gouttes glacées qui traversaient leurs minces vêtements.
Au bout d’un quart d’heure, ils furent en vue des baraquements laissés à l’abandon. Un logement bas et gris prolongeait un terre-plein, limité par la forêt d’un côté et soutenu, de l’autre, par un énorme mur où grimpaient des escaliers étroits, comme cachés, qui montaient jusqu’à la bâtisse.
Quand ils s’engagèrent sur les marches, une voix les arrêta d’en bas :
« Hé, là. Où est-ce que vous allez ? »
Surpris, ils découvrirent, à leur gauche, une petite maison à demi-enfouie sous les arbres et à peine visible du chemin.
Yvette pensa que ce devait être la maison du gardien et s’arrêta pour la contempler. David répondit :
« On cherche le camp.
— Le camp ? Quel camp ?
— Le camp d’internement de Rieucros.
— Mais il y a longtemps qu’il n’y a plus de camp ici.
— Bien sûr, mais on peut voir l’endroit où il se trouvait ? »
L’homme les contempla un moment puis haussa les épaules, l’air indifférent :
« Si ça vous chante, moi je n’ai rien contre. Je suis venu habiter ici il y a seulement un an, et la baraque d’en haut, ça ne me regarde pas, je ne m’en occupe pas… Mais vous ne pourrez pas rentrer, j’ai pas les clés !
— Ça ne fait rien, on veut juste jeter un coup d’œil. »
L’homme rentra chez lui et ne s’occupa plus d’eux.
Les marches s’arrêtaient juste en face de la façade lépreuse qui, vue de près, se tassait encore plus dans le sol, ouvrant de petites fenêtres sans volets aux vitres verdâtres. Les arbres avaient des teintes éclatantes sous le soleil qui avait réussi à percer le brouillard et essayait de réchauffer cette morne matinée. Rien
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