La Trahison Des Ombres
et monta quelques marches,
mettant de la distance entre lui et ce criminel aux mains rouges de sang.
— Vous avez toujours été un assassin,
Burghesh : restez ici et écoutez ce qu’il en est. Vous êtes devenu soldat
pour tuer. Le sang chaud coulant à gros bouillons, la puanteur de la mort vous
ont toujours fait jouir, depuis que vous étiez un jouvenceau dans la ferme près
de Melford. Cela fait combien d’années ? Quarante ? Sous le règne du
père de notre roi ? J’ai examiné le registre des décès. Il mentionne deux,
trois jeunes femmes assassinées il y a quelques décennies, et fait des
références elliptiques à des corps « inconnus ». Qui étaient ces « inconnues »
? De pauvres voyageuses ? Des catins ? Des gueuses ? Des
fugitives qui ont eu la malchance de venir à Melford ? Vous rôdiez sur les
chemins de campagne comme une belette chassant le connil. Il n’y a pas eu d’arrestation
pour ces meurtres ; personne, peut-être, ne s’en est préoccupé. Vous étiez
en sécurité. Selon toutes les apparences, vous étiez l’honnête et franc
Burghesh, le demi-frère du jeune Grimstone, qui était destiné à l’Église.
Avez-vous, un jour, ouvert ce registre pour connaître le nom de vos victimes ?
Avez-vous jamais ressenti un élan de culpabilité ?
Burghesh se contenta de répondre par un regard.
— Vous avez suivi un apprentissage de
tailleur de pierre mais, en fin de compte, l’attrait de la guerre l’a emporté :
c’était une occasion d’assouvir votre goût du sang. Dieu sait combien de morts
à travers le royaume vous avez sur la conscience. Qui se soucierait de cadavres
dans les marches écossaises et galloises, quand des villes et des villages
entiers étaient passés au fil de l’épée ?
— J’étais un bon soldat, ricana Burghesh.
Les capitaines du roi n’ont jamais relevé de charges contre moi.
— Bien sûr ! Les armées se déplacent
vite. Personne n’a dû le remarquer. J’ai rencontré des hommes d’armes comme
vous, Burghesh, rudes et vaillants, mais tueurs dans l’âme. Qui plus est, vous
avez gagné une petite fortune. Vous dévalisiez vos victimes, n’est-ce pas ?
Pas seulement celles que vous tuiez, mais aussi toutes celles qui vous
tombaient entre les mains.
— Les vicissitudes de la guerre, répondit l’homme,
impavide.
— Et vous avez ramené votre fortune à
Melford pour étaler votre réussite. Vous avez acheté la maison de l’ancien
verdier et êtes redevenu le demi-frère et le sagace ami du père Grimstone.
— Il avait besoin de moi.
— Bien entendu ! Le temps n’a pas été
tendre pour lui. L’idéalisme, les rêves se sont évanouis. Seul comme il l’était
et amateur de vin rouge, Grimstone ne pouvait que vous accueillir à bras
ouverts !
— Je vous l’ai déjà dit : nous sommes
demi-frères et c’était un bon prêtre.
— Oh, je suis certain que vous avez fait de
votre mieux pour cacher votre soif de sang ! Vous avez peut-être même
lutté contre les différents démons qui ravagent votre âme cruelle. Mais les
vieilles habitudes ont la vie dure, n’est-ce pas ? Vous êtes un habile soldat.
Vous savez étouffer le bruit des sabots d’un cheval. Melford s’était aussi
agrandi, était devenu plus prospère ; la campagne était moins peuplée avec
ses boqueteaux, ses bois, ses forêts, ses pâturages et ses haies qui faisaient
des sentes étroites, des tranchées encore plus petites, un endroit sillonné d’anciens
layons et de pistes. Il est si facile d’entrer et de sortir à la dérobée de la
ville qui n’a ni murailles ni portes ! Vous avez donc repris votre chasse
avec votre masque de Momeur.
— Mon masque de Momeur ?
— Oui. Quelque chose que vous aviez trouvé
pendant vos voyages ou ici, à Melford. Vous le portiez, d’habitude, au pommeau
de votre selle, peut-être dans un sac ou sous un linge. C’était votre
déguisement, au cas où l’une de vos victimes se serait échappée. Au début, vous
avez été prudent. Vous vous êtes attaqué aux personnes vulnérables, aux
faibles, aux filles de voyageurs, aux femmes ou filles de bohémiens, aux catins
qui passaient dans les parages. Vous agressiez, violiez et tuiez. Dieu seul
sait où gisent certains de ces pauvres corps ; mais j’y reviendrai dans un
instant.
— Pas de cadavre, pas de preuve !
rétorqua Burghesh. Sir Hugh, vous êtes censé être clerc du roi. Or je n’entends
qu’hypothèses vides,
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