La Trahison Des Ombres
tête.
— Êtes-vous certain qu’il est parti ?
s’inquiéta-t-elle.
— Oh, oui, comme l’assassin silencieux qu’il
est ! Je me demande d’abord pourquoi il est venu.
— Et vous, pourquoi ?
— Eh bien, pour deux raisons, comme je suis
persuadé qu’il y a deux meurtriers à Melford. Oui, nous en avons bien deux. Le
premier est le tueur aux jets ou Momeur, le violeur et l’assassin des femmes.
Comme vous me l’avez signalé, il a battu sentiers et pistes telle une belette.
Il s’en prend quelquefois à des bohémiennes, à des femmes comme vous, qui s’échappent
des villes en quête d’une nouvelle vie, de travail, d’un quignon de pain et d’un
penny. Ce sont des proies faciles.
Corbett s’interrompit pour choisir ses termes.
— Mais il arrive, reprit-il, qu’il ne
puisse maîtriser ses appétits. Il attire donc parfois des jouvencelles de la
ville dans la campagne où il les viole et les étrangle.
— Et le second assassin ? s’enquit
Sorrel d’un ton bref.
— Oh, celui-là ne s’intéresse ni au viol ni
au meurtre, mais, assez étrangement, à la justice. C’est quelqu’un qui croit qu’on
a pendu un homme qui ne le méritait pas : que Sir Roger Chapeleys était
innocent, que son procès fut une farce, une pure facétie. Donc il...
Le magistrat se tut un instant.
— ... ou elle, a fomenté une sanglante
campagne de revanche contre les responsables. Tressilyian est assailli en
venant à Melford. Deverell reçoit un carreau d’arbalète dans la tête. On
écrabouille la cervelle de Thorkle. Molkyn est décapité. C’est bizarre, n’est-ce
pas, médita-t-il, que tous les trois aient été blessés à la tête ! Et deux
personnes, reprit-il, estimaient Chapeleys innocent ; Sir Roger, mais il
repose à présent dans le sein de Dieu...
— Et, Furrell, mon époux.
— Oui, Sorrel, Furrell, votre mari.
— Mais lui aussi est près de Dieu.
— Vraiment ? Ou se cache-t-il encore,
se déplaçant comme un silencieux fantôme vengeur parmi les arbres ?
Lâchant des flèches sur Sir Louis et rendant visite à Deverell au cœur de la
nuit, sans parler de ses vieux ennemis, Molkyn et Thorkle ? Allons,
insista Corbett, c’est possible. Après tout, qui vous laisse cet argent ?
Ne pourrait-ce pas être Furrell, se sentant coupable de vous avoir abandonnée ?
— Non, il n’agirait pas ainsi. Je pense que
l’argent vient du jeune Chapeleys, pour me remercier de ce que nous avons tenté
de faire pour sauver son père. Je vous assure, Messire, que Furrell est mort.
Elle se frappa la poitrine.
— Il est vrai que parfois j’en ai douté,
mais je sais qu’il est mort, enterré dans quelque tombe anonyme.
— Admettons-le, pour le plaisir de la discussion,
ajouta le magistrat en se carrant sur son siège.
Il fit une pause.
— À propos, avez-vous rencontré Blidscote ?
Ranulf le cherche. Furrell, lui non plus, n’aimait pas le bailli, n’est-ce pas ?
— Personne ne l’aime ! rétorqua Sorrel
d’un ton sec. Surtout les chaudronniers avec leurs petits garçons. Croyez-moi,
Messire : si Furrell avait eu l’intention de tuer Blidscote, il aurait pu
le faire il y a bien des années. Peut-être aurait-il dû le faire. Notre bailli
est une ordure.
Elle bougea la tête et tressaillit quand la
douleur se réveilla dans son cou.
— Mais Furrell est mort.
— Dans ce cas, Sorrel, nous en arrivons à
vous !
Elle le regarda bouche bée.
— Ne jouez pas les innocentes, murmura
Corbett. Vous êtes une femme courageuse et indépendante, Sorrel. Vous
connaissez bien les parages de Melford. Vous savez user d’une arbalète et êtes
assez forte pour manipuler une épée ou un fléau. Vous savez vous glisser dans
les champs sans être vue. Vous haïssiez Molkyn et les autres, car ils
raillaient Furrell et dépréciaient son témoignage. C’est à cause d’eux que Sir
Roger a été exécuté et qu’ensuite Furrell a disparu. Le trépas de Deverell vous
a manifestement réjouie.
Il la scruta avec grande attention.
— Je me demande si l’un d’entre eux a
abattu votre époux. Était-il devenu une telle gêne qu’ils l’ont tué ? Son
corps gît peut-être sous le moulin de Molkyn ? Ou dans le domaine de
Thorkle ? Vous vous êtes avec soin tenue à l’écart de ces deux hommes, n’est-il
pas vrai ?
Sorrel baissa la tête.
— Acceptez l’évidence, persista Corbett.
Quand Sir Louis Tressilyian a pris son cheval pour venir me voir
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