La traque d'Eichmann

de grands gestes dclxxxi . De toute évidence, il s’était passé quelque chose. Harel se précipita dans l’avion juste à temps pour que la porte se ferme derrière lui.
    Dans le cockpit, Tohar parcourut la check-list avec ses copilotes. Système électrique : bon. Niveau de carburant : bon. État des jauges : bon. Alors que Harel attachait sa ceinture sur le siège éjectable du cockpit, Tohar demanda à l’ingénieur de vol de lancer les moteurs. Les quatre moteurs à réaction démarrèrent aussitôt.
    Suivant la procédure, Tohar appela alors la tour de contrôle : « El Al prêt à rouler. Demande autorisation pour Recife dclxxxii . » Puis il fournit l’altitude et les coordonnées établies par Shaul sur leur prétendu plan de vol vers le Brésil.
    La tour répondit : « El Al, roulez jusqu’au tarmac. Attendez autorisation de décoller pour Recife. »
    Ils étaient presque tirés d’affaire, songea Harel – il avait eu très peur en voyant surgir cet homme de l’aérogare, mais c’était une fausse alerte. Malgré tout, il avait hâte de se retrouver en plein ciel.
    Tohar relâcha les freins et le Britannia roula doucement jusqu’à sa position de départ. Alors que l’avion s’éloignait de l’aérogare, la radio transmit un nouveau message de la tour de contrôle : « El Al, gardez votre position. Le plan de vol présente une anomalie. »
    Dans le cockpit, l’équipage retint son souffle. Pour Harel, cela ne faisait aucun doute : leur manœuvre était éventée. Tohar, sans même demander une confirmation à la tour, se retourna vers son chef pour recevoir ses ordres. Les autres ne disaient pas un mot, à peine capables de respirer.
    « Qu’est-ce qui se passe si on décolle en direction de Dakar sans les écouter ? » demanda Harel.
    Tout le monde savait que Tohar était un pilote de réserve de l’armée de l’air israélienne, et qu’il avait connu assez de situations critiques pour agir en toute connaissance de cause. Il était peu probable que l’armée argentine soit déjà sur le qui-vive à l’aéroport, mais, s’ils décollaient sans autorisation, un avion de chasse pouvait être lancé à leurs trousses. Tohar pouvait certes voler assez bas pour échapper aux radars, en direction du sud – et non au nord, vers Recife –, lançant leurs poursuivants sur une fausse piste, au moins pendant un moment. Mais il répondit à Harel que les risques étaient considérables.
    Sans se départir de son calme, le pilote ajouta : « Il y a une solution plus simple. Avant de lancer l’armée de l’air à nos trousses, assurons-nous qu’ils sont bien au courant de la présence à bord d’Adolf Eichmann. Le problème n’existe peut-être pas ; inutile de le créer. »
    Harel opina du chef, tout en songeant qu’un retard prolongé donnerait aux autorités le temps nécessaire pour alerter l’armée ou empêcher l’avion de décoller.
    Tohar se tourna alors vers Shaul : « Ils ont repéré une anomalie dans le plan de vol. Alors, envoyons à la tour celui qui l’a préparé, et on en saura peut-être davantage. »
    En tant que navigateur en chef, Shaul était responsable du plan.
    « Si tu n’es pas de retour dans dix minutes, ajouta Tohar, on décolle sans toi. »
    Posté devant l’aérogare, Klein ne comprenait pas pourquoi l’avion ne bougeait plus dclxxxiii . Il avait pourtant tout vérifié et revérifié. Il n’y avait aucune raison que l’avion soit bloqué sur la piste – à moins, bien sûr, que l’on ait découvert la présence à bord de son mystérieux passager. Klein tenta d’établir un contact visuel avec l’un des pilotes, mais personne ne bougeait dans le cockpit, et nul ne songea à ouvrir un hublot pour l’appeler. Après une attente qui lui sembla interminable, il vit l’un des pilotes faisant des signes pour qu’on dispose un escalier mobile sur le flanc de l’appareil.
    La porte du Britannia s’ouvrit et Shaul en descendit. Klein alla le retrouver au bas des marches et lui lança : «  Mais qu’est-ce qui se passe, bon sang ?
    — La tour de contrôle a trouvé une anomalie dans le plan de vol », répondit Shaul.
    Klein éprouva un certain soulagement, tout en songeant que cette explication n’était peut-être qu’un prétexte. Il était pour le moins inhabituel de stopper un avion avant le décollage pour en faire descendre le navigateur.
    «  Dois-je vous accompagner ? demanda-t-il.
    — Non, attendez