La Traque des Bannis
solidement bâti qui avait eu l’intention d’aller discrètement prêter main-forte à O’Malley leva aussitôt les mains. Comme la plupart des clients, il avait eu vent des deux flèches qui avaient tant effrayé Nialls et Dennis la veille au soir. Il comprit qu’il ne servirait à rien de prendre un tel risque.
Will lui montra sa flèche encochée et l’homme s’assit lourdement sur un banc. La pointe du trait avait suffi à l’inquiéter. Il y avait plus troublant encore : le vieux barbu qui s’en prenait à O’Malley avait deviné qu’il s’approchait de lui sans même lui avoir lancé un regard.
— Bon, reprit Halt. Où en étions-nous ?
O’Malley fut tenté de parler, puis se ravisa. Il se retrouvait soudain en terrain inconnu. D’ordinaire, il menait le jeu et ses interlocuteurs se soumettaient à sa volonté. Il savait parfaitement qu’il n’était pas aimé par les habitués du Héron, mais il était craint, ce qui comportait bien des avantages. Du moins l’avait-il cru. Maintenant que les clients présents dans la taverne bondée avaient découvert qu’un autre était capable de lui inspirer de la peur, le contrebandier devenait vulnérable. Si certains l’avaient apprécié, peut-être auraient-ils intercédé en sa faveur. Mais sans le soutien de Nialls et de Dennis, il était désormais seul.
Halt l’étudia un moment, conscient des pensées qui se bousculaient dans l’esprit d’O’Malley. Distinguant dans ses yeux une lueur de doute, il sut d’emblée qu’il contrôlait la situation. Ce que Will lui avait raconté de sa récente confrontation avec le contrebandier l’avait conduit à deviner que celui-ci avait peu d’alliés – une hypothèse qui se confirmait.
— Il y a quelques jours, tu as pris à ton bord un individu du nom de Tennyson, accompagné de plusieurs hommes, et tu l’as conduit hors du pays. Tu dois t’en souvenir.
Les yeux rivés sur ceux de Halt, O’Malley resta impassible. Le Rôdeur distinguait la fureur à peine réprimée du contrebandier, impuissant à agir.
— J’espère que c’est le cas, reprit Halt, car il se pourrait que ta vie en dépende. À présent, rappelle-toi ce que je t’ai dit : je vais te poser une question et je ne la répéterai pas. Si tu tiens à la vie, tu me fourniras cette information. Est-ce clair ?
Cette fois encore, O’Malley ne fit pas mine d’acquiescer. Halt prit une profonde inspiration avant de poursuivre :
— Où as-tu emmené Tennyson ?
Un silence palpable s’installa sur la salle, tandis que tous paraissaient impatients d’entendre la réponse du contrebandier. Celui-ci déglutit à plusieurs reprises : la lame du couteau appuyait douloureusement sur sa gorge.
— Tu ne peux pas me tuer, finit-il par croasser.
À ces mots, Halt haussa un sourcil. Un sourire énigmatique apparut sur ses lèvres.
— Vraiment ? Et pour quelle raison, je te prie ?
— Si tu me tues, tu ne découvriras jamais ce que tu veux savoir.
Halt pouffa brièvement.
— Tu plaisantes ?
Un pli creusa le front d’O’Malley. Il venait de jouer sa dernière carte et cet homme réagissait avec mépris. Il fanfaronnait, pensa le contrebandier qui, à cette idée, reprit de l’assurance.
— N’essaie pas de bluffer, déclara-t-il. Tu meurs d’envie de savoir où a filé ce Tennyson. Sinon, tu ne serais pas venu ici ce soir. Ôte ce couteau de ma gorge, je te le conseille, et je reconsidérerai ta requête. À condition d’être payé, bien entendu, ajouta-t-il.
Il avait l’avantage, autant en profiter, songea-t-il.
Halt resta muet un court instant, puis se pencha au-dessus de la table, sans relâcher le contrebandier.
— Fixe-moi dans les yeux, O’Malley, et dis-moi si tu y aperçois le moindre signe indiquant que je suis incapable de te tuer.
O’Malley obtempéra. Il fallait admettre que le regard du Rôdeur, qui faisait froid dans le dos, était dépourvu de la plus petite trace de pitié ou de faiblesse. Cet homme serait capable de l’égorger sans scrupules, comprit-il.
Hormis le fait que Halt avait besoin de lui vivant. Ce qui rendait sa victoire plus douce encore. Le contrebandier ne put retenir un petit sourire.
— Je suis persuadé que tu me tuerais volontiers, répondit-il d’un ton presque jovial. Mais tu ne le peux pas, n’est-ce pas ?
— Examinons de nouveau la situation, veux-tu ? répliqua doucement Halt. Selon toi, je ne peux te tuer parce qu’alors je n’aurai jamais de réponse à ma
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