La Traque des Bannis
donnait-il un sentiment de supériorité, songea le jeune Rôdeur.
— C’est toujours pareil, poursuivit le capitaine d’une voix joyeuse. Ces gens qui, à terre, demeurent solides et taciturnes se transforment immanquablement en pleurnichards au visage blême dès qu’ils embarquent et sentent un léger roulis sous leurs pieds.
En réalité, Le Moineau tanguait et roulait, malmené par les forces contraires du vent et des vagues.
— Ceci ne va pas nous poser de problème ? demanda Horace en désignant un ensemble de rochers couverts d’écume qui affleuraient à la surface après le passage de chaque nouveau rouleau.
L’obstacle était encore à plusieurs centaines de mètres à bâbord, mais les rafales poussaient le navire dans sa direction.
Le capitaine observa l’écueil qui apparaissait et disparaissait au rythme des flots.
— On l’appelle le récif de la Palissade, annonça-t-il.
Il plissa un peu les yeux, étudiant angles et distances afin de s’assurer que leur trajectoire n’avait pas changé depuis la dernière fois qu’il l’avait vérifiée.
— J’ai l’impression qu’on s’en approche un peu trop, ajouta Horace.
— C’est normal, répondit le capitaine, mais nous en réchapperons. Pas d’inquiétude à avoir. Les gens habitués à rester à terre sont toujours un peu anxieux à la vue de ce récif.
— Je ne suis pas anxieux, rétorqua le chevalier, dont le ton abrupt sous-entendait pourtant le contraire. Je veux juste être certain que vous savez ce que vous faites.
— C’est pour cette raison que nous avons sorti les rames, mon garçon. La voile nous suffit pour avancer, mais comme ces rafales nous conduisent vers les brisants, les rames nous permettent de rectifier notre course et d’aller contre le vent, qui changera bientôt de direction.
— Comment ça ? s’enquit Will.
— Vous voyez que le récif atteint le bord du Mull de Linkeith, n’est-ce pas ? répondit le capitaine en lui indiquant les vastes terres qui s’étendaient au nord-ouest. Vous constatez aussi que le vent arrive derrière moi, ce qui nous fait dériver vers le récif ?
Le jeune Rôdeur acquiesça.
— Eh bien, les rames nous aident à repousser le navire vers l’est afin d’éviter les brisants. Par conséquent, quand nous approcherons du Mull, le vent ira le frapper et sera renvoyé vers nous : en fin de compte, c’est lui qui nous éloignera du récif. Ensuite, il nous suffira de traverser la baie jusqu’à l’embouchure de la rivière. Cette foisencore, les rameurs seront sollicités, car l’effet inversé du vent ne durera que sur quelques centaines de mètres – assez cependant pour nous écarter de ces rochers.
— Intéressant, murmura le jeune Rôdeur, pensif.
Le capitaine manquait assurément de tact, mais il semblait bien connaître son métier.
— Je devrais peut-être aller trouver votre ami et lui montrer cet écueil, ajouta l’homme en arborant un large sourire. Histoire de rigoler. Je suis prêt à parier qu’il ne l’a pas encore remarqué, ajouta-t-il en riant. Je peux même prendre l’air soucieux, comme ça, regardez !
Il fronça les sourcils et fit mine de se ronger les ongles. Will le fixa froidement.
— Dites-moi, votre second est-il bon marin ?
— Bien sûr ! répliqua le capitaine. Sinon, je ne l’aurais pas embauché ! Pourquoi cette question ?
— Il faudra qu’il vous remplace quand Halt vous aura jeté par-dessus bord, répondit Will avec douceur.
Le capitaine se mit à rire, mais à la vue de l’expression sombre du jeune Rôdeur, il s’interrompit.
— Lorsqu’il a le mal de mer, notre compagnon est capable d’être de très mauvaise humeur, expliqua Will.
— Surtout quand on se moque de lui, précisa Horace.
Le capitaine perdit sa belle assurance.
— Je plaisantais, rien d’autre.
— Comme ce Skandien qui avait tenté de ridiculiser Halt, ajouta le Rôdeur. Tu te rappelles, Horace, la façon dont notre ami s’est vengé ?
Horace hocha la tête d’un air grave.
— Ce n’était pas beau à voir.
Le capitaine dévisagea tour à tour les deux jeunes gens. Au fil des années, il avait rencontré nombre de Loups des mers. Malgré tout, jamais il n’avait connu quelqu’un qui aurait osé s’en prendre à eux.
— Que lui a fait votre ami ? s’enquit-il.
— Il a vomi dans son casque, répondit Will.
— Et pas qu’une fois, renchérit Horace.
Bouche bée, le capitaine essaya d’imaginer la scène.
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