La Traque des Bannis
aussi littérale.
— Pourtant, insista Horace, buté, pourquoi ne pas avoir donné un nom plus logique à cet endroit ? Par exemple, le défilé de la Bataille ? Ou le défilé de l’Embuscade ?
Halt le fixa. Il aimait Horace comme un jeune frère. Voire comme un second fils, après Will. Il admirait ses prouesses d’épéiste et sa vaillance. Mais de rares fois, le désir l’envahissait de saisir le jeune homme par le col et de lui cogner le crâne contre un tronc d’arbre.
— Sais-tu ce qu’est un symbole, Horace ?
— Euh ? répliqua le jeune guerrier, un peu perdu.
Halt regarda autour de lui, à la recherche d’un arbre. Heureusement pour Horace, il n’y en avait aucun en vue.
Tennyson, prophète autoproclamé du dieu Alseiass, examina d’un air renfrogné l’assiette qui venait d’être posée devant lui. Son maigre contenu – un morceau de bœuf salé et filandreux, quelques carottes et des navets flétris – ne fit rien pour dissiper sa mauvaise humeur. Tennyson aimait son confort. Or, il était mal installé, il avait froid et, pire encore, il était affamé.
Il repensa avec amertume au contrebandier hibernien qui les avait emmenés, ses compagnons et lui, sur la côte ouest de Picta, en leur demandant une somme exorbitante pour leur passage. Ensuite, après maints marchandages, cet homme avait accepté à contrecœur de fournir des victuailles aux Bannis, qui comptaient voyager vers le sud. Lorsque le navire avait accosté, les contrebandiers les avaient littéralement jetés sur la plage, comme des marchandises dont on se déleste, avant de leur lancer une demi-douzaine de sacs renfermant des provisions.
Quand Tennyson avait découvert qu’un tiers au moins de cette nourriture était avarié et par conséquent immangeable, le bateau avait déjà regagné le large, voguant sur les déferlantes, pareil à une mouette. Le Banni, impuissant, avait laissé éclater sa colère en imaginant le contrebandier occupé à compter les pièces d’or qu’il leur avait extorquées.
Au début, Tennyson fut tenté de se réserver la part la plus importante des victuailles, mais il préféra se montrer prudent. L’emprise qu’il exerçait sur ses acolytes était faible. Aucun d’eux ne croyait en Alseiass. Formant le noyau dur de sa bande, ils savaient parfaitement que le culte des Bannis n’était qu’une invention destinée à s’emparer des richesses de simples campagnards. Ils respectaient Tennyson en tant que meneur, car il était doué pour tromper fermiers et villageois crédules. Les terres qu’ils traversaient étaient cependant inhabitées et ils ne montraient aucune déférence particulière vis-à-vis de l’individu corpulent, aux cheveux gris et à la robe blanche, qui leur servait de chef – lequel ne leur était d’aucune utilité pour le moment. Selon eux, il ne méritait donc pas de traitement privilégié.
À dire vrai, Tennyson avait autant besoin de ses complices qu’eux de lui. Les choses se passaient différemment lorsqu’ils étaient entourés de plusieurs centaines de convertis, désireux de se prêter à la moindre exigence du faux prophète : ils vivaient comme des coqs en pâte, Tennyson le premier. Mais à présent, il lui fallait tout partager avec eux.
Il entendit un bruit de pas et leva les yeux sans se départir de son expression maussade. Bacari, le plus âgé des deux assassins génovésiens encore à son service, s’immobilisa à quelques mètres de lui. À la vue de l’assiette posée sur les genoux de Tennyson, il afficha un sourire sarcastique.
— Ce n’est pas ce que j’appellerais un festin, Votre Excellence.
Le visage du prophète s’assombrit. Il avait besoin des Génovésiens, mais ne les aimait pas. Ils étaient arrogants et égocentriques. Lorsqu’il leur ordonnait d’exécuter une tâche précise, ils obtempéraient non sans réticence, comme s’ils lui octroyaient une faveur. Il les payait grassement pour qu’ils assurent sa protection, et il attendait de leur part un peu plus de respect – notion qui semblait toutefois leur être étrangère.
— Tu as découvert quelque chose ? demanda Tennyson.
Bacari haussa les épaules.
— Il y a une petite ferme à environ trois kilomètres d’ici. J’y ai vu des animaux. Au moins, nous aurons de la viande.
Le prophète avait envoyé les deux Génovésiens explorer la campagne environnante – le peu de nourriture qui restait aux Bannis était presque immangeable et il allait
Weitere Kostenlose Bücher