La Traque des Bannis
Je n’ai jamais entendu parler de lui. Le roi de Clonmel est Ferris.
— Ferris est mort, intervint Horace, qui voulait épargner à Halt d’aborder le décès de son frère jumeau. Nous sommes à la poursuite de ses assassins. Son neveu Sean est monté sur le trône.
Ceci ne sembla pas surprendre outre mesure Ardel Keelty. Après tout, Fingle Bay était fort éloigné de la capitale du royaume et les nouvelles ne circulaient pas très vite. Il examina le parchemin d’un air sceptique.
— Et pour quelle raison ce nouveau roi prêterait-il attention à un document de votre part ?
— Parce que Sean est mon neveu, répliqua le vieux Rôdeur en fixant le capitaine droit dans les yeux.
D’instinct, ce dernier devina que Halt disait la vérité. Cependant, une autre idée traversa tout à coup son esprit.
— Mais… je croyais que le roi était le neveu de Ferris… cela signifie donc que vous êtes…
Il se tut, incertain.
— Cela signifie surtout que je suis impatient de quitter ce rafiot secoué par le roulis et de reprendre ma route, riposta Halt d’un ton vif.
Il jeta un coup d’œil alentour et, constatant que Will était allé chercher leurs paquetages et leurs selles dans la petite cabine qu’ils avaient partagée, il remercia Ardel Keelty d’un signe de tête et se dirigea vers la proue. Les marins avaient placé une échelle le long de la coque afin que les trois passagers puissent négocier plus facilement les deux mètres qui les séparaient du sol. Halt passa une jambe par-dessus le plat-bord et lança un dernier regard au capitaine ; celui-ci tenait le parchemin qui flottait au vent.
— Tâchez de ne pas le perdre, lui conseilla le Rôdeur.
— Ne vous en faites pas, répondit Keelty, pensif.
— En route, dit Halt en se tournant vers ses deux compagnons.
Il descendit lestement l’échelle et se retrouva, à son grand soulagement, sur la terre ferme.
Horace et les deux Rôdeurs s’enfoncèrent dans les terres, le long d’une piste qui serpentait entre des fourrés touffus et de hautes herbes qui ployaient sous les bourrasques, lesquelles ne cessaient de gémir et de souffler en direction de la mer. Will regarda autour de lui. Pas un arbre en vue. L’espace d’un instant, le susurrement du vent fit surgir le souvenir de la nuit terrifiante qu’il avait passée dans la Plaine de la Solitude, à l’époque où, jeune apprenti, il traquait les Kalkaras en compagnie de Gilan – ou l’inverse, plutôt, rectifia-t-il, car c’étaient les Kalkaras qui les avaient pourchassés.
— J’aimerais bien voir quelques arbres, fit observer Horace, comme en écho aux pensées de son compagnon.
— Ils ne peuvent pas pousser ici, répondit Halt. Le vent apporte trop de sel marin. Nous en croiserons quand nous serons plus loin à l’intérieur du pays.
— Où allons-nous, exactement ? s’enquit alors Will, que cette question taraudait depuis un moment. En as-tu la moindre idée ?
— Nous savons que Tennyson a débarqué au même endroit que nous. Et ce sentier est le seul qui parte du rivage. Voilà pourquoi il a dû l’emprunter lui aussi.
— Et si nous tombons sur un croisement ? demanda le jeune Rôdeur.
Halt esquissa un sourire.
— Dans ce cas, nous aviserons.
— Vous ne pouvez pas retrouver leur piste en examinant le sol ? s’étonna Horace. Moi qui croyais que les Rôdeurs étaient experts en la matière !
— En effet, rétorqua Halt. Nous ne sommes néanmoins pas infaillibles.
Il regretta aussitôt ces mots à la vue de l’expression faussement étonnée d’Horace.
— C’est bien la première fois que je vous entends l’admettre ! s’exclama le jeune guerrier avec un franc sourire.
Halt lui décocha un regard mauvais.
— Je te préférais à l’époque où tu savais montrer une once de respect à tes aînés.
En réalité, il y avait bel et bien des traces indiquant que des gens étaient passés par-là, mais Halt et Will ne pouvaient savoir si elles avaient été laissées par Tennyson ou par d’autres voyageurs que les Bannis. Ce chemin, après tout, devait être constamment fréquenté par nombre de Scotti en affaire avec les contrebandiers, auxquels ils apportaient des marchandises en échange de barriques d’alcool ou de ballots de laine – un produit très recherché à Picta, où le climat était trop froid et humide pour élever des moutons. En revanche, on y trouvait surtout des bovidés, plus robustes et accoutumés aux intempéries ;
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