La Traque des Bannis
découvrit deux carreaux profondément fichés dans son dos. Il y avait peu de sang. L’un des traits au moins avait dû atteindre le cœur de l’homme et le tuer sur le coup. Malgré les circonstances, Will en fut soulagé. Il leva les yeux. Halt et Horace l’observaient, toujours en selle.
— Des tirs d’arbalète, annonça le jeune Rôdeur.
— Ce n’est pas une arme scotti, ajouta Halt.
— En effet, reprit Will. Et ce n’est pas la première fois que je vois des carreaux de ce type. Ils appartiennent aux Génovésiens. Tennyson est passé par ici.
Horace fouilla des yeux le théâtre de ces tragiques événements, une expression de dégoût et de tristesse sur le visage. Picta et les Scotti étaient peut-être des ennemis du royaume d’Araluen ; cependant, ces victimes n’avaient été ni des soldats, ni des pillards, mais de simples campagnards qui avaient mené une existence précaire en travaillant dur pour survivre dans ces régions inhospitalières.
— Pourquoi ? demanda-t-il. Pourquoi les avoir tués ?
Malgré son jeune âge, Horace avait eu sa part de batailles ; il savait que la guerre n’avait rien de prestigieux. Un soldat pouvait tuer ou être tué, certes, mais il avait toujours une chance de se défendre. Alors qu’ici, il s’agissait du meurtre impitoyable de paysans innocents et sans défense.
Halt désigna une autre carcasse, à moitié dissimulée dans les hautes herbes, autour de laquelle bourdonnait une nuée de mouches ; un corbeau se posa dessus et arracha un lambeau de chair avec son bec pareil à une dague. C’était tout ce qui restait d’une autre vache. Celle-ci avait été tuée et dépecée pour des raisons bien différentes.
— Les Bannis cherchaient de quoi manger, comprit-il. Le fermier a dû essayer de s’interposer ou de les chasser.
— Ils avaient les moyens de le contraindre à leur donner de la nourriture. Pourquoi le tuer ? insista Horace.
Halt haussa les épaules.
— Ils ont encore du chemin à parcourir avant d’atteindre la frontière. Ils ont certainement préféré ne pas laisser derrière eux quelqu’un qui puisse donner l’alerte. Je suis convaincu qu’il y a une bonne dizaine de petites propriétés semblables à quelques kilomètres à la ronde, et peut-être même un village ou un hameau, où le fermier serait allé chercher du renfort pour prendre les Bannis en chasse. Tennyson n’a pas voulu courir ce risque.
— Ce porc est un assassin, déclara Horace après avoir réfléchi un instant aux suppositions de Halt.
Le vieux Rôdeur laissa échapper un petit grognement de dégoût.
— Tu commences seulement à le comprendre ?
Halt contempla l’horizon avec méfiance.
— Nous devrions repartir au plus vite.
Mais Horace mettait déjà pied à terre.
— Nous ne pouvons pas les laisser ainsi, Halt, dit-il. Ce n’est pas bien.
Il s’empara de la petite pelle qui faisait partie de son équipement. Le vieux Rôdeur, sans descendre de cheval, se pencha vers lui.
— Horace, d’autres Scotti pourraient arriver d’un instant à l’autre. As-tu envie d’être encore ici quand cela surviendra ? Je ne crois pas qu’ils écouteront nos explications.
Le jeune guerrier était occupé à examiner le sol afin de trouver de la terre meuble où creuser.
— Il faut les enterrer, déclara-t-il. Je ne peux pas les laisser pourrir ici. Et s’ils ont des amis tout près, ces derniers apprécieront le fait que nous ayons pris cette peine.
— Tu attribues aux Scotti une capacité de raisonnement qui leur fait généralement défaut, répliqua Halt.
Il devinait cependant qu’il ne parviendrait pas à convaincre Horace de changer d’avis.
— Si nous n’enfouissons pas leurs corps, des charognards viendront, dit Will, qui avait mis pied à terre à son tour. Et cela attirera encore davantage l’attention des voisins.
— Les charognards sont déjà là, répondit Halt en indiquant ce qui restait de la vache dépecée.
— Nous pourrions la traîner au milieu des cendres de la grange et la cacher sous du chaume, proposa le jeune Rôdeur.
Halt soupira. Il savait qu’Horace avait raison : il était convenable d’enterrer ces gens. C’étaient des gestes de ce genre qui les différenciaient d’individus tels que Tennyson. Par ailleurs, le raisonnement de Will était logique. « Peut-être suis-je devenu trop pragmatique et blasé avec l’âge », songea-t-il. Il descendit de cheval, prit sa pelle et se mit à creuser près de
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