La Vallée des chevaux
de tête. Il souffrait trop pour
avoir la force de discuter. Il avait l’impression de s’être claqué un muscle en
nageant et il tenait tout juste debout.
Après avoir écrasé un moustique, Thonolan commença à descendre
le long de la déclivité qui, auparavant, reliait le haut de la berge au fond du
lit.
Combien de fois leur avait-on répété qu’il ne fallait jamais
tourner le dos à la Grande Rivière Mère et sous-estimer les dangers qu’elle
recelait ? Même si le fleuve ne coulait plus à cet endroit, ce bras en
faisait encore partie et pouvait réserver des surprises. Chaque année des
millions de tonnes de limon entraînées vers la mer intérieure étaient déversées
dans ce delta de deux mille six cent kilomètres carrés. Ce bras mort,
régulièrement inondé par les marées de la mer intérieure, formait un marais
salant, saturé d’humidité et mal drainé. Les herbes et les roseaux qui avaient
réussi à y pousser enfonçaient leurs racines dans de la vase.
Dès qu’ils s’y engagèrent, les deux hommes se mirent à glisser
le long de la pente et quand ils arrivèrent en bas, leurs pieds s’enfoncèrent
dans la vase. Thonolan fila devant, oubliant que son frère n’était pas en état
d’adopter sa longue foulée habituelle. Même s’il était encore capable de
marcher, la descente le long de cette pente glissante n’avait pas arrangé sa
blessure. Il avançait avec précaution et commençait à se sentir un peu ridicule
de marcher tout nu dans ce marais alors que les insectes en profitaient pour le
dévorer.
Son frère s’était tellement éloigné qu’il voulut l’appeler. Mais
au moment où il relevait la tête, il vit Thonolan s’enfoncer et entendit le cri
qu’il poussait pour appeler à l’aide. Oubliant sa blessure, il se mit à courir.
Quand il fut assez près pour voir que son frère était en train de se débattre
dans des sables mouvants, il fut pris de panique.
— Grande Doni, Thonolan ! cria-t-il en se précipitant
vers lui.
— Reste où tu es ! hurla son frère. Sinon tu vas y
avoir droit, toi aussi.
Plus Thonolan se débattait pour se libérer, plus il s’enfonçait.
Jondalar jeta des coups d’œil frénétiques autour de lui dans l’espoir de lui
tendre quelque chose qu’il pourrait attraper. Ma tunique ! se dit-il
soudain. Il s’accrochera à une des extrémités et moi, je tiendrai l’autre. Puis
il se rendit compte que c’était impossible : le ballot de vêtements avait
disparu. Il s’approcha d’un tronc d’arbre en partie enfoui dans la boue et
tenta de lui arracher une de ses racines. Mais ses efforts ne servirent à
rien : toutes les racines qui auraient pu venir facilement avaient été
arrachées au tronc pendant son turbulent trajet dans le courant.
— Thonolan, où sont nos vêtements ? J’ai besoin de
quelque chose pour te sortir de là.
Le désespoir que laissait percer la voix de Jondalar eut sur son
frère un effet qu’il n’avait nullement désiré : s’infiltrant dans son
esprit complètement paniqué, il lui rappela son propre désespoir. Un sentiment
de calme acceptation envahit soudain Thonolan.
— Si la Mère a décidé que je devais La rejoindre, il faut
La laisser faire, dit-il.
— Non, Thonolan ! Non ! Tu ne peux pas renoncer
aussi facilement. Oh, Doni, oh Grande Doni, ne le laisse pas mourir !
implora-t-il en se laissant tomber à genoux. (Puis il s’étendit de tout son
long dans la vase et tendit sa main à son frère en le suppliant :) Attrape
ma main, Thonolan, je t’en prie, essaie de l’attraper.
Thonolan fut surpris par la douleur et la souffrance
qu’exprimait le visage de son frère. Ce n’était pas la première fois que
Jondalar le regardait ainsi. Et soudain, il comprit. Son frère l’aimait, il
l’aimait autant que lui-même avait aimé Jetamio. D’un amour différent, mais
aussi fort que le sentiment qu’il éprouvait pour Jetamio. Il comprit cela
intuitivement et, alors qu’il avançait sa main vers celle de son frère, il sut
aussi que, même si cette main tendue n’était pas en mesure de le sortir de ce
bourbier, il ne pouvait pas refuser de s’y accrocher.
Sans qu’il en soit conscient, dès qu’il cessa de se débattre, il
s’enfonça moins vite. Pour pouvoir atteindre la main de son frère, il adopta
une position presque horizontale, répartissant le poids de son corps sur les
sables mouvants, un peu comme s’il flottait sur l’eau. Quand il réussit
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