La Vallée des chevaux
blessé qui avait déjà perdu
beaucoup de sang. Elle allait préparer le sirop et ne l’utiliserait que si la
fièvre persistait.
Elle pensa alors aux feuilles de luzerne. Des feuilles fraîches
mises à macérer dans de l’eau chaude facilitaient la coagulation du sang. Elle
irait en ramasser dans la prairie. Elle allait aussi lui préparer un bon
bouillon de viande pour qu’il reprenne des forces. Réfléchir aux soins qu’elle
allait lui prodiguer lui faisait du bien : elle recommençait à avoir les
idées claires. Depuis le début, elle était hantée par une pensée unique :
il fallait qu’elle sauve cet homme. Il fallait qu’il vive.
Posant la tête du blessé sur ses genoux, elle essaya de lui
faire boire un peu d’infusion d’écorce de saule. Ses yeux papillotèrent et il
marmonna. Mais il était toujours inconscient. Les longues estafilades qu’il
portait sur le corps étaient rouges et brûlantes et sa jambe droite était en
train d’enfler. Ayla changea l’emplâtre et posa une compresse fraîche sur la
blessure qu’il avait à la tête ; l’ecchymose était en train de diminuer.
Au fur et à mesure que la nuit approchait, l’état du blessé semblait empirer et
elle regretta que Creb ne fût pas là pour implorer les esprits comme il faisait
lorsque Iza soignait un malade.
Quand la nuit fut tombée, l’homme commença à s’agiter dans son
sommeil, à se débattre et à crier. Dans ce qu’il disait, un mot revenait très
souvent, associé à d’autres sons, comme s’il lançait un avertissement.
Ayla se dit que le mot qu’il répétait était peut-être le nom de
l’homme qui l’accompagnait. A minuit, elle alla chercher une côte de cerf dont
elle avait creusé une des extrémités et qui lui servit de cuillère afin de
faire avaler au blessé quelques gorgées de la préparation d’eupatoire. [8] En sentant ce goût amer dans sa bouche, l’homme se débattit et il ouvrit les
yeux, sans pour autant reprendre conscience. Elle eut moins de mal ensuite à
lui faire avaler une infusion de datura, comme s’il appréciait de se rincer la
bouche pour chasser l’amertume du sirop. Le datura avait un rôle analgésique et
soporifique et elle se félicitait d’en avoir ramassé tout près de la vallée.
Elle veilla le blessé durant toute la nuit. Un peu avant l’aube,
la fièvre atteignit son maximum, puis elle commença à baisser. Ayla en profita
pour laver le corps trempé par la transpiration avec de l’eau fraîche et, dès
qu’elle eut changé les fourrures dans lesquelles il dormait, son sommeil devint
plus calme. Elle s’allongea sur une fourrure à côté de sa couche et s’assoupit.
Elle ouvrit brusquement les yeux et, en voyant le soleil qui
pénétrait à grands flots par l’ouverture, elle se demanda ce qui l’avait
réveillée. En se retournant, elle aperçut l’homme couché sur son lit et se
souvint soudain de ce qui s’était passé la veille. Le blessé semblait détendu
et son sommeil était normal. Ce n’était pas lui qui l’avait réveillée mais la
respiration précipitée de Whinney.
Comprenant ce qui se passait, Ayla bondit sur ses pieds et
s’approcha de la jument.
— Ça y est, Whinney ? lui demanda-t-elle, tout
excitée.
Elle avait déjà assisté des femmes qui accouchaient et elle-même
avait eu un enfant, mais elle n’avait jamais joué le rôle de sage-femme pour
une jument. Même si Whinney savait ce qu’il fallait faire, la présence d’Ayla à
ses côtés semblait la rassurer et, tout à la fin, la jeune femme tira sur le
poulain pour l’aider à sortir complètement. Elle sourit de plaisir en voyant la
jument lécher la fourrure brune de son petit.
— C’est la première fois que je vois quelqu’un accoucher
une jument, dit Jondalar.
En entendant ces sons étranges, Ayla se retourna aussitôt et
regarda l’homme qui l’observait, appuyé sur ses coudes.
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Ayla ne pouvait détacher ses yeux de l’homme. Tout en sachant
qu’il était incorrect de dévisager quelqu’un ainsi, elle ne pouvait pas s’en
empêcher. Maintenant qu’il était réveillé, elle découvrait quelque chose qui
lui avait échappé jusqu’ici : cet homme avait les yeux bleus ! Comme
les siens. Les gens du Clan avaient tous les yeux bruns. Elle n’avait encore
jamais rencontré quelqu’un qui ait les yeux bleus, et d’un bleu si vif qu’il
semblait presque surnaturel.
Clouée sur place par le regard de cet homme, elle ne
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