La Vallée des chevaux
possédait un corps de femme. Pourquoi
évite-t-elle mon regard ? se demanda-t-il, plus intrigué que jamais.
Lorsqu’il sentit la bonne odeur du bouillon de viande qu’elle
lui apportait, il se rendit compte à quel point il avait faim. Il voulut
s’asseoir pour manger et découvrit alors que sa jambe droite et tout son côté
droit lui faisaient mal.
Pour la première fois depuis qu’il avait ouvert les yeux, il se
demanda ce qu’il faisait dans cette caverne. Et soudain il se souvint de
Thonolan... du canyon dans lequel il avait pénétré à la suite de son frère...
de l’effroyable rugissement... et du gigantesque lion des cavernes.
— Thonolan ! cria-t-il en regardant autour de lui,
complètement paniqué. Où est Thonolan ?
Cette femme et lui mis à part, il n’y avait personne dans la
caverne. Son estomac se contracta. Il connaissait la vérité, mais il ne voulait
pas l’admettre. Peut-être Thonolan se trouvait-il dans une autre caverne.
Peut-être quelqu’un d’autre s’occupait-il de lui.
— Où est mon frère ? demanda-t-il à nouveau. Où est
Thonolan ? Ayla reconnut sans peine le mot qu’il avait prononcé si souvent
dans son sommeil lorsqu’il avait la fièvre. Elle devina qu’il demandait des
nouvelles de son compagnon et baissa la tête pour bien montrer le respect
qu’elle éprouvait vis-à-vis de l’homme mort.
— Où est mon frère ? répéta Jondalar en agrippant les
bras d’Ayla et en la secouant dans l’espoir qu’elle réponde.
Ayla était gênée qu’il crie aussi fort et qu’il laisse libre
cours à la colère et à la frustration qu’il éprouvait. Les hommes du Clan
contrôlaient toujours leurs émotions, car le sang-froid était un signe de
virilité.
Elle avait beau ne pas comprendre ses paroles, elle savait ce
qu’il ressentait. La douleur qu’il éprouvait se lisait au fond de ses yeux et,
s’il serrait les mâchoires, c’était pour mieux se refuser à l’évidence :
au fond de lui-même, il savait que son frère était mort. Ceux qui avaient
adopté et élevé Ayla ne communiquaient pas simplement grâce à des gestes. Les
postures du corps et les expressions du visage faisaient aussi partie du
langage du Clan, et même le fléchissement d’un muscle permettait d’introduire
des nuances dans ce qu’on exprimait. Ayla connaissait donc parfaitement le
langage du corps et la perte d’un être cher était une douleur universelle.
Les yeux remplis de tristesse et de compassion, elle hocha la
tête, puis la baissa de nouveau. Jondalar ne pouvait plus nier l’évidence. Il
lâcha la jeune femme et rentra les épaules.
— Thonolan ! Pourquoi a-t-il fallu que tu
partes ? O Doni, pourquoi as-tu pris mon frère ? s’écria-t-il d’une
voix tendue. (Il essayait de résister à la douleur qui l’envahissait, mais
jamais encore il ne s’était senti aussi désespéré.) Pourquoi l’as-Tu pris et
m’as-Tu laissé tout seul ? Tu savais pourtant que c’était le seul être que
j’aie jamais aimé. Grande Mère ! C’était mon frère...
Ayla comprenait sa détresse. Elle aussi, elle avait perdu des
êtres chers. Elle était malheureuse pour lui et voulait le réconforter. Avant
de réaliser ce qu’elle faisait, elle l’avait pris dans ses bras, et se mit à le
bercer alors qu’il continuait à crier le nom de l’être qu’il avait perdu.
Jondalar ne connaissait pas cette femme, mais il sentit qu’elle avait pitié de
lui.
Alors qu’il s’accrochait à elle, une force irrésistible jaillit
soudain de lui, aussi incontrôlable que la poussée de lave d’un volcan. Il émit
un sanglot et son corps fut secoué par des tremblements convulsifs. Des cris
s’échappèrent de sa gorge nouée par l’angoisse et chaque fois qu’il respirait,
l’air semblait lui manquer.
Jamais, depuis qu’il était enfant, il ne s’était laissé aller
ainsi. Ce n’était pas dans sa nature de donner libre cours à ses sentiments.
Ceux-ci étaient tellement puissants qu’il avait appris très vite à les
maîtriser. Mais le choc provoqué par la mort de Thonolan ramenait au grand jour
des souvenirs enfouis depuis des années.
Serenio avait raison : son amour était trop fort pour la
plupart des gens. Et il en était de même de ses colères. Un jour, alors qu’il
était adolescent, en passant sa colère sur un homme, il l’avait gravement
blessé. Même sa propre mère avait été obligée de prendre ses distances. Elle
n’avait pas
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