La Vallée des chevaux
Ayla alla chercher un bout de bois dans le feu et, après avoir
tendu cette torche à Jondalar, elle hissa la seconde carcasse sur le travois.
Il s’approcha en boitillant pour lui donner un coup de main, mais elle avait
déjà fini. En la voyant transporter le cadavre du cerf mort, il eut à nouveau
une preuve de sa force exceptionnelle et il comprit aussi comment elle l’avait
acquise. La jument et le travois étaient bien utiles, et même indispensables,
mais ne la dispensaient nullement des efforts physiques qu’exigeait sa vie
solitaire.
Le poulain voulait téter sa mère, mais Ayla le repoussa jusqu’à
ce qu’ils aient atteint la caverne.
— Toi raison, Jondalar, dit-elle au moment où ils
atteignaient la corniche. Grand, grand feu. Jamais vu aussi grand feu avant.
Loin, très loin. Beaucoup, beaucoup d’animaux.
Le son de sa voix obligea Jondalar à l’observer de plus près.
Elle était exténuée et le carnage auquel elle avait assisté avait imprimé sa
marque sur elle. Elle avait les yeux creux, les mains noires, le visage maculé
de suie et de sang, et son vêtement était dans le même état. Après avoir enlevé
le harnachement de Whinney et détaché le travois, elle passa son bras autour de
l’encolure de la jument et appuya son front contre elle, d’un geste las.
Whinney baissait la tête et, les pattes antérieures écartées pour que son
poulain puisse téter, elle semblait aussi fatiguée qu’elle.
— Ce feu devait être très loin. Il est tard. As-tu
chevauché toute la journée ?
Ayla releva la tête, l’air surpris. Pendant un court instant,
elle avait oublié la présence de Jondalar.
— Oui, toute la journée, dit-elle en laissant échapper un
soupir. Beaucoup animaux morts. Beaucoup venir chercher la viande. Loups.
Hyènes. Lions. Un autre animal, jamais vu encore. Grandes dents, précisa-t-elle
en plaçant ses deux index devant sa bouche ouverte pour imiter les longues
canines de l’animal qu’elle avait vu.
— Tu as dû voir un tigre à dents de sabre ! s’écria
Jondalar. Je ne croyais pas que ces animaux existaient vraiment. Lors de la
Réunion d’Été, un vieil homme avait l’habitude de raconter qu’il en avait vu un
lorsqu’il était jeune, mais personne ne voulait le croire. Tu en as vraiment vu
un ? demanda-t-il regrettant de ne pas avoir pu être avec elle.
Ayla acquiesça en frissonnant. Puis elle se raidit et ferma les
yeux.
— Faire peur à Whinney, expliqua-t-elle. S’approcher sans
bruit. Fronde faire fuir. Whinney et Ayla courir.
En entendant ce récit haché, Jondalar ouvrit de grands yeux
étonnés.
— Tu as fait fuir un tigre à dents de sabre avec ta
fronde ? Grande Mère, Ayla !
— Beaucoup de viande. Tigre... pas besoin Whinney. Fronde
faire fuir.
Ayla aurait aimé lui raconter l’événement plus en détail et lui
parler de la peur qu’elle avait éprouvée, mais elle n’en avait pas les moyens.
Elle était trop fatiguée pour visualiser les mouvements capables de rapporter
l’événement, puis pour trouver leur équivalent parmi les mots qu’elle
connaissait.
Pas étonnant qu’elle soit fatiguée, se dit Jondalar qui en
venait à regretter de lui avoir conseillé d’aller voir ce feu de prairie. C’est
pourtant grâce à ce feu qu’elle avait pu ramener deux cerfs. Il ne fallait pas
avoir froid aux yeux pour affronter un tigre à dents de sabre Ayla était une
sacrée femme !
Après avoir jeté un coup d’œil à ses mains, Ayla redescendit
vers la plage. Elle prit au passage la torche que Jondalar avait plantée dans
le sol et l’emporta vers la rivière. Arrivée là, elle regarda autour d’elle et
finit par trouver ce qu’elle cherchait : un plant d’ansérine dont elle
écrasa les feuilles et les racines avec ses mains. Puis elle humidifia le
mélange et, après avoir y ajouté un peu de sable, s’en servit pour se nettoyer
les mains et le visage, avant de remonter à la caverne.
Lorsqu’elle rejoignit Jondalar, elle fut tout heureuse de voir
qu’il avait mis des pierres à chauffer sur le feu et préparé une infusion.
C’était exactement ce dont elle avait besoin. Elle lui avait laissé largement
de quoi manger et elle espérait qu’il n’allait pas lui demander de cuisiner.
Elle avait mieux à faire : il fallait qu’elle écorche les deux cerfs et
qu’elle mette la viande à sécher.
Comme elle désirait récupérer les peaux, elle avait choisi deux
animaux qui n’avaient pas
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