La Vallée des chevaux
telles horreurs, pourquoi
d’autres ne feraient-ils pas comme eux ? La conclusion s’imposait. Mais
avant de se résoudre à l’accepter, Jondalar avait besoin de certaines précisions.
— Ayla, tu n’as pas arrêté de me dire que tu ne ressemblais
pas aux membres du Clan. Explique-moi en quoi ils sont différents de toi.
— Ils sont beaucoup plus petits. C’est d’ailleurs pourquoi
j’ai été si surprise la première fois que je t’ai vu debout. J’étais beaucoup
plus grande qu’eux, les hommes y compris. C’est pour ça qu’ils ne voulaient pas
de moi : ils me trouvaient grande et laide.
— Quoi d’autre ? demanda Jondalar à contrecœur.
Il n’avait aucune envie de connaître la vérité et pourtant il
fallait qu’il sache à quoi s’en tenir.
— Ils ont tous les yeux bruns. Iza a toujours pensé que mes
yeux avaient quelque chose d’anormal car ils sont bleus comme le ciel. Durc
avait les mêmes yeux qu’eux et des gros... je ne sais pas comment on appelle
ça... des gros sourcils. Son front était comme le mien. Tandis qu’eux avaient
la tête beaucoup plus plate...
— Des Têtes Plates ! s’écria Jondalar avec une moue de
dégoût. Bonne Mère, Ayla ! Tu as vécu parmi ces animaux ! Tu as
laissé un des mâles... (Jondalar s’interrompit en frissonnant.) Tu as donné
naissance à un monstre, à un esprit mêlé, moitié humain, moitié animal !
Jondalar se recula comme s’il venait de toucher quelque chose de
dégoûtant et bondit sur ses pieds. Sa réaction était due à un préjugé
irrationnel, profondément ancré dans les mentalités, et qui n’avait jamais été
remis en cause par la majorité des gens qu’il connaissait.
Ayla, abasourdie, le fixait d’un air perplexe. Mais quand elle
vit que son visage reflétait le même genre de répugnance que celui que lui
inspiraient les hyènes, elle saisit soudain le sens de ses paroles.
Des animaux ! Il traitait d’animaux les gens qu’elle
aimait ! De hyènes puantes ! Creb, le doux et aimant Creb, le plus
puissant magicien du Clan, un animal ? Et Iza alors ? Iza qui l’avait
élevée comme si elle était sa mère et lui avait appris son métier de
guérisseuse, Iza, elle aussi, était une hyène puante ? Et Durc ! Son
fils !
— Tu n’as pas honte de les traiter d’animaux !
s’écria-t-elle en bondissant à son tour sur ses pieds pour lui faire face.
(Jamais encore Ayla n’avait élevé la voix : elle était la première
surprise de pouvoir crier aussi fort – et de distiller autant de
venin.) Creb et Iza sont des animaux, alors ? Et Durc, mon fils, est à
moitié humain ? Les gens du Clan ne sont pas des hyènes puantes, que je
sache ! Est-ce que des animaux auraient recueilli une petite fille
blessée ? Est-ce qu’ils en auraient fait une des leurs ? Se
seraient-ils occupés d’elle ? Avec qui crois-tu que j’ai appris à cuisiner ?
Qui m’a appris à soigner ? Sans ces soi-disant animaux, je ne serais pas
là aujourd’hui, et toi non plus, Jondalar ! Avant de dire que les gens du
Clan sont des animaux et que les Autres sont des humains, tu ferais mieux de
comparer : le Clan a recueilli une petite fille qui était née chez les
Autres, alors que les Autres n’ont pas hésité à tuer une petite fille qui
faisait partie du Clan. Si je devais choisir entre humains et animaux, je
choisirais tout de suite les hyènes puantes !
Sortant comme une folle de la caverne, Ayla dégringola le
sentier et siffla Whinney.
24
De la corniche, Jondalar vit Ayla bondir sur le dos de la
jument et descendre la vallée au triple galop. Il n’en revenait pas :
c’était la première fois qu’elle se mettait en colère et elle était si douce
habituellement que son éclat lui semblait encore plus stupéfiant.
Jusque-là, il avait eu l’impression d’être plutôt large d’esprit
vis-à-vis des Têtes Plates : il pensait qu’il fallait les laisser
tranquilles, ne pas les harceler et jamais il n’en aurait tué un à moins d’y
être forcé. Mais cela le choquait profondément qu’un homme puisse prendre son
Plaisir avec une femelle Tête Plate et il était carrément hors de lui à l’idée
qu’un mâle Tête Plate ait pu faire de même avec une femme. La femme avait été souillée.
Lui qui avait désiré Ayla avec tant d’ardeur ! Ce qu’elle
venait de lui avouer lui rappelait ces histoires vulgaires que racontent en
ricanant les adolescents et les jeunes gens.
Weitere Kostenlose Bücher