La Vallée des chevaux
façonner une soie qu’on encastrera ensuite dans un manche.
— Je ne sais pas ce que c’est qu’une « soie ».
Jondalar prit une des lames pour lui expliquer.
— Je vais commencer par émousser le dos de cette lame et
tailler une des extrémités en pointe : cette partie constituera la lame du
couteau. Si je détache quelques éclats sur la face interne de la lame, je
pourrai même la redresser un peu. Et maintenant, à peu près à mi-hauteur de la
lame, je vais détacher par pression des éclats pour former un talon terminé par
une pointe. C’est la pointe qui s’appelle la soie.
Jondalar s’interrompit un court instant pour prendre un bout
d’andouiller.
— Pour que mon couteau ait un manche, il suffit que
j’encastre cette soie dans un morceau d’os, de bois ou d’andouiller comme
celui-ci. Il faut d’abord faire tremper le morceau d’andouiller dans de l’eau
bouillante pour le ramollir, puis faire pénétrer en force la soie au centre, là
où le bois est le plus tendre. Quand l’andouiller sèche, il se resserre autour
de la soie et le manche tient souvent très longtemps sans qu’on ait besoin de
l’attacher ou de le coller.
Fascinée par cette nouvelle méthode, Ayla avait très envie de
s’y essayer mais elle craignait d’enfreindre les coutumes ou les traditions du
peuple de Jondalar. Il ne s’était pas formalisé de voir qu’elle chassait.
Allait-il pour autant accepter qu’elle fabrique le même genre d’outils que les
siens ?
— J’aimerais essayer... Est-ce que tu vois un...
inconvénient à ce que les femmes fabriquent des outils ?
Sa demande fit plaisir à Jondalar. Les outils fabriqués par Ayla
exigeaient une bonne dose d’habileté. Le meilleur tailleur de silex n’était
jamais absolument sûr d’arriver au résultat souhaité. Et le plus mauvais
pouvait réussir à fabriquer un outil potable – il suffisait de casser
un silex accidentellement pour en tirer quelques éclats utilisables. Jondalar
aurait donc très bien admis qu’Ayla essaie de défendre sa propre méthode. Mais
elle semblait avoir saisi quel progrès représentait la sienne et avait envie de
l’essayer. Comment aurait-il réagi si quelqu’un lui avait montré une technique
constituant un progrès aussi radical ?
Je me serais empressé de l’apprendre, se dit-il en souriant.
— Les femmes peuvent être d’excellentes tailleuses de
silex, répondit-il. Joplaya, ma cousine, est aussi habile que moi. Mais je me
suis bien gardé de le lui dire. Elle est si taquine qu’elle n’aurait pas arrêté
de le plaisanter à ce sujet, ajouta-t-il en souriant à ce souvenir.
— Dans le Clan, les femmes ont le droit de fabriquer des
outils, mais pas des armes.
— Chez nous, les femmes peuvent fabriquer des armes. Quand
un homme part chasser, il perd ou casse beaucoup d’outils et d’armes. Si sa
compagne est capable d’en fabriquer, il en a toujours en réserve. C’est donc un
avantage. En plus, les femmes sont plus proches que les hommes de la Mère.
Certains hommes pensent que les armes fabriquées par les femmes portent chance
lors de la chasse. Mais quand un chasseur revient bredouille, il en rejette toujours
la faute sur celui qui a fabriqué les armes – et tout spécialement
sur sa compagne.
— Crois-tu que je pourrais apprendre ?
— N’importe qui capable de fabriquer des outils comme les
tiens est capable d’apprendre à en fabriquer selon ma méthode.
— Non, intervint Ayla après avoir réfléchi à la réponse de
Jondalar. Je ne crois pas.
— Bien sûr que tu en serais capable !
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Moi, en effet, je
suis capable d’apprendre cette technique. Droog le pourrait aussi, à mon avis.
Mais les autres membres du Clan en seraient incapables. Tout ce qui est nouveau
est très difficile pour eux. Ils n’apprennent qu’en puisant dans leurs
souvenirs.
Sur le coup, Jondalar crut qu’elle plaisantait. Mais non, elle
était tout à fait sérieuse. Si elle disait vrai, cela voulait dire que même si
on leur en donnait la possibilité, même s’ils le désiraient, les tailleurs de
silex du Clan étaient incapables d’apprendre !
Grâce à Ayla, Jondalar commençait à mieux connaître les Têtes
Plates. Avant qu’elle ne lui en parle, jamais il n’aurait pensé qu’ils
fabriquaient des outils, communiquaient entre eux ou qu’ils puissent avoir
pitié d’une enfant perdue. Ayla mise à part, il en savait
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