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La vengeance d'isabeau

La vengeance d'isabeau

Titel: La vengeance d'isabeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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son âne devant la forteresse de Montguerlhe, un inexprimable sentiment de désolation l’envahit. Non à cause de ce qu’il venait chercher en ce mois de mars 1531, mais plutôt parce que le lieu lui-même évoquait l’abandon.
    De la troisième enceinte qui fermait la forteresse aux regards, il ne restait que des pans de muraille et cette porte close, comme un défi lancé aux promeneurs de s’aventurer au-delà. Il songea que les bâtisses de moellons qu’il avait croisées sur sa route avaient dû naître du pillage de ces murs. Il eût pu aisément franchir ce qu’il en restait, car par endroits leur hauteur dépassait à peine quelques coudées ; pourtant, il tira sur le levier qui actionnait une lourde cloche, au sommet de l’ouverture. Puis il attendit.
    De longues minutes plus tard, un sergent, s’il en jugea à sa tenue, entrouvrit la massive vermoulue, l’air peu engageant. Il se contenta de dévisager Philippus des pieds à la tête puis grommela :
    —  Pour le péage, c’est plus bas !
    —  Je cherche quelqu’un qui habite l’endroit, s’empressa de répondre Philippus avec son accent germanique, avant que l’homme ne refermât la porte.
    Celui-ci hésita un instant, surpris par l’inhabituel de la requête, puis cracha dans l’herbe à ses pieds avant de demander qui l’on venait voir.
    —  Votre intendante, Albérie de la Faye.
    Les yeux du sergent s’arrondirent encore. Il fouilla une mémoire que l’intelligence n’avait pas seulement effleurée, puis gratta sa barbe naissante.
    —  Connais pas !
    Philippus sentit une bouffée d’angoisse lui étreindre la gorge. L’homme était jeune. Seize, dix-sept ans au plus. Il insista :
    —  Où se tient votre prévôt, Huc de la Faye ?
    —  Messire Huc ? C’est lui donc que vous cherchez ?
    Philippus se sentit soulagé. Il acquiesça d’un mouvement de tête.
    —  Il est à Vollore, ou en chemin.
    Comprenant qu’il n’obtiendrait pas davantage de ce bougre, Philippus le remercia, remonta sur son âne et, s’étant fait indiquer la direction, poussa sa monture d’un coup de talon. L’esprit assailli de questions sans réponse.
     
    Au fil de ces quinze années, il s’était étourdi sur les champs de bataille, devenant médecin des armées aux Pays-Bas puis au Danemark, dans l’espoir insensé qu’une balle perdue lui ôte son mal de vivre. Il s’était baigné dans la bière des tavernes, dans les jupons des garces, gaspillant sa solde trop maigre pour d’autres rêves dans la fuite éperdue des journées. En 1524, il était revenu à Salzbourg, s’était enflammé pour des idées nouvelles et avait participé aux émeutes ouvrières, s’essayant à quelques écrits théologiques. Il en était parti précipitamment au bout d’un an.
    Le hasard de sa route l’avait conduit sur celle de Philippe I er de Bade qu’il avait miraculeusement guéri. Puis il soigna le secrétaire de la cathédrale de Strasbourg où il écrivit deux livres de chirurgie pour que persiste une trace solide de ce que Loraline lui avait légué et que sa mémoire malmenée par une vie de débauche commençait à occulter.
    En 1527, grâce au soutien de nombreuses personnalités, il s’installa à Bâle, en qualité de docteur, et imposa ses théories, ce savoir hérité des guérisseurs, des mages, des sorcières. Il se mit à professer en latin et en allemand, s’attirant la rancœur et le courroux de la Faculté, de ses confrères et des apothicaires. Lorsque, ivre mort, Philippus se moqua publiquement d’un patient avec lequel il s’était disputé, la menace d’une condamnation du conseil de la ville le força une fois encore à fuir. Il s’installa à Colmar et y ouvrit un office. Pas davantage il ne fut capable de se faire à ce quotidien qui le rongeait. Il partit pour Nuremberg, dans une maison où de nombreuses catins l’instruisirent de leurs maux. C’était dans la lie du peuple qu’il se perdait le mieux. Il écrivit deux ouvrages sur la syphilis pour se donner le sentiment d’être encore.
    Et de nouveau ce fut la route, Beratghausen, Ratisbonne, Amberg, Zimmen, Zingall, jusqu’en août 1530. Ce fut là que le destin le rattrapa. Au hasard d’une rencontre dans une taverne, comme souvent. Il venait de glisser sous une table après de nombreuses chopines. Il s’était réveillé adossé à un mur, en pleine rue, contre un autre corps aussi soûl que le sien, une myriade d’étoiles filantes chevauchant

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