La vengeance d'isabeau
ses épaules le mantel noir qui l’enveloppait et en couvrit celles de la jouvencelle. Marie se sentit piquer un fard. Elle en avait oublié sa nudité. Elle baissa les yeux pour ne pas croiser ceux de Constant et de Jean, et resserra les pans de la cape sur sa poitrine.
— Ma ! Appela-t-elle, mais la louve était déjà contre sa cuisse.
Elle chiffonna avec tendresse sa belle tête et s’élança au pas de course sur le chemin, ses deux amis sur ses traces.
Lorsqu’Isabeau pénétra chez sa sœur, elle était furieuse. L’aube pointait sur les toits de Paris et c’était Constant qui était venu l’avertir.
Albérie la reçut, calme, Jean Latour à ses côtés.
— Où est Marie ? S’emporta-t-elle.
— Elle dort, la rassura Albérie. Tout va bien. Ils sont intervenus à temps.
Mais Isabeau avait une lueur de folie dans le regard. Cette lueur qu’Albérie avait surprise tant de fois après ce que François de Chazeron lui avait fait endurer. Ce n’était plus Isabelle de Saint-Chamond qui se dressait devant elle, mais Isabeau des louves, face à ses propres démons.
— Calme-toi, imposa Albérie. La petite est sauve. Ma n’aurait pas permis que cela se produise. Calme-toi, répéta-t-elle.
Mais Isabeau avait peine à s’apaiser. Ses yeux roulaient de la louve à la porte fermée derrière laquelle la jouvencelle dormait. Ils s’arrêtèrent sur Jean Latour qui la reconnut à peine tant son visage était déformé par l’angoisse et une souffrance presque tangible.
Isabeau empoigna les épaules d’Albérie avec violence et la secoua :
— J’avais interdit qu’elle l’approche ! Interdit !
— Je sais. Mais c’est terminé à présent, insista Albérie, apaisante.
— Tu ne comprends pas, Albérie, rien n’est terminé. Rien ! Je le hais ! Oh ! Seigneur Dieu que je le hais !
Hallebrenée de rage et d’inquiétude, elle s’écroula dans un spasme entre les bras de sa sœur, des sanglots étreignant sa gorge. Elle s’était préparée à affronter son bourreau, mais pas de cette façon-là. Pas dans l’idée du viol. Malgré les années, ce qui l’effrayait le plus restait là, tapi dans l’ombre. Elle n’était pas guérie. Elle l’avait cru. Elle s’était seulement menti pour mieux accepter.
Elle repoussa Albérie et s’agenouilla devant la louve qui s’avançait vers elle en geignant. Albérie s’écarta. Elle était gênée de la voir offrir pareil spectacle à Constant et à Jean. Elle ne trouva pourtant pas les mots pour l’empêcher. Isabeau étreignit le col de Ma et y enfouit ses larmes. Partageant sa détresse, la louve lui léchait le cou. Mère et fille enlacées. Au-delà des apparences. Au-delà du pardon.
— Je n’aurais pas dû quitter Montguerlhe, je n’aurais pas dû te laisser agir à ma place. Jamais, geignit Isabeau, le regard perdu dans de lointains souvenirs.
Albérie se retourna vers Jean.
— Il vaut mieux nous retirer, mon ami. Pour des raisons que je ne saurais vous expliquer, ma sœur se tient pour personnellement responsable de ce qui est arrivé. Je vous prie d’oublier son égarement.
Elle fit signe à Constant de les suivre, s’agaça de lire dans le regard du jouvenceau une peine réelle à ce spectacle, puis referma la porte sur cette étreinte qu’elle seule pouvait comprendre.
Jean Latour ne dit mot, prit congé et s’éloigna au gré des ruelles. Il ne savait trop que penser de ce qu’il venait de découvrir, mais un sentiment étrange lui étreignait le cœur. Et à sa grande surprise, ce n’était ni de la pitié ni de la honte. Bien plutôt l’envie de succéder à cette louve et de serrer cette femme dans ses bras.
Isabeau resta longuement dans l’antichambre avec Ma. Longtemps, elle parla, osa enfin ces mots qui hurlaient dans son ventre depuis qu’elle avait pris conscience de son sentiment de mère. Ma lui lécha le visage, les mains, la couvrant de ses grands yeux tristes qui brillaient d’une véritable tendresse. Elle aurait pu mordre, se venger à son tour de ce qu’elle était devenue, mais elle n’avait jamais cessé d’aimer cette mère qui l’avait trahie. Dans son corps d’animal le ressenti était plus violent, l’intuition aussi. Elle percevait ses remords, sa souffrance, dans ses attitudes, dans ses phrases, dans ses non-dits. Elle s’était vu mère dans ses yeux. L’une et l’autre n’avaient qu’une seule raison de vivre : Marie. Et pour Marie, elles
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