La vengeance d'isabeau

et une pierre de teinte sombre. Elle a débouché le flacon, a versé quelques gouttes dans sa main et les a lapées comme un animal. Elle s’est tordue de douleur durant plusieurs minutes, puis a saisi la pierre et l’a approchée d’un rocher. Il a suffi que l’une et l’autre entrent en contact pour que la roche se transforme en un morceau d’or. Elle a fabriqué ainsi de quoi remplir deux sacs, puis nous avons refermé le passage et sommes parties, une fois les effets du produit dissipés. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle n’utilisait pas directement celui qui se trouvait là, elle m’a répondu qu’il arriverait un temps où la liqueur serait épuisée. Alors cela constituerait leur réserve, car elle n’avait plus la possibilité d’en fabriquer d’autre sans courir d’énormes risques d’attirer l’attention. Voilà, messire mon père. Satisfait ?
    Le seigneur de Vollore se frotta la barbe nerveusement. Ainsi, Isabeau n’avait pas menti, le récipient contenait l’alkaheist, et c’était sur lui qu’elles avaient testé son innocuité pour le mettre au point.
    —  Le flacon. Qu’est devenu le flacon ?
    —  Tante Albérie l’a remis à sa place, dans la pièce auprès de la pierre. Elle préférait laisser l’alkaheist à Montguerlhe, de crainte d’être détroussée en chemin ou qu’on ne découvre à Paris son usage. L’or peut se remplacer. Pas ce secret.
    François se mit à trembler. Marie disait la vérité indiscutablement. Lui seul avait vu la liqueur, avait connu ses effets. Il demanda encore :
    —  Te souviens-tu de l’endroit ?
    —  Je le retrouverai sans peine, depuis cette église où nous avions laissé la litière.
    —  Son nom ?
    —  Saint-Jehan-du-Passet.
    François exultait. Il avait fouillé les souterrains sans rien trouver et moins encore la sortie sur la chapelle. C’était donc par là qu’Isabeau avait fui et Albérie ensuite. La petite église ne voyait de prêtre que deux fois dans la semaine. Il était aisé en cet endroit isolé d’aller et venir de nuit sans attirer l’attention.
    —  Était-ce une nuit de pleine lune ?
    —  Non. Tante Albérie m’a expliqué que le mélange était désormais stable. Il leur a fallu dix ans pour y parvenir. N’importe qui peut le consommer sans danger, n’importe quand. À raison d’une rasade pour un effet prolongé de quelques jours ou de quelques gouttes pour quelques heures. Tante Albérie n’avait pas l’utilité d’une grande quantité. Le plus étrange était qu’après l’avoir absorbé, ses rides s’estompaient, se lissaient. De fait, je ne l’ai jamais vue vieillir.
    —  Nous irons. Cette nuit.
    —  Sûrement pas, mon père.
    Marie lui offrit son sourire le plus engageant mais son regard reflétait l’inflexibilité. François sentit la colère le gagner.
    —  Très bien, je t’écoute.
    —  Relâchez Huc sur l’heure et chassez-le. Il s’en ira rejoindre son épouse et lui révélera quel a été le prix de sa vie. Tante Albérie et Isabeau continueront leurs affaires à Paris. Vous, vous pourrez présenter votre fille au roi avec magnificence, légitimer votre nom et votre titre et serez libre comme seuls les puissants le sont. J’aime ces gens, François de Chazeron, ils sont quinze années de ma vie durant lesquelles ils m’ont aimée comme leur fille. Si je leur en veux de s’être détournés ainsi, je sais qu’ils ont agi pour le bien de tous et par crainte de votre courroux. Le voyage qui m’amena ici m’a permis d’y voir plus clair, de comprendre leur geste.
    —  En ce cas, pourquoi les trahis-tu ?
    —  Je ne l’aurais pas fait si vous n’étiez parjure à la parole donnée. Je vous l’ai dit. Je vous conduirai. En échange de leur liberté et de leur oubli. J’en veux pour cela engagement écrit.
    François de Chazeron réfléchit un instant. Il ne désirait Isabeau que pour l’alkaheist. Quant à Huc, il l’avait épargné si souvent déjà…
    —  Soit, dit-il. Je fais libérer Huc de la Faye sur-le-champ. Tu le verras toi-même partir avec ses armes et un courrier attestant qu’il est dégagé de ses charges. Un autre signifiera à Isabeau de ne plus se trouver sur ma route. Je ferai murer le passage et nul autre que nous ne saura qu’il a existé en cette contrée. Tu as ma promesse que je respecterai cet engagement.
    —  En ce cas, mon père, dès la nuit prochaine, nous irons.
    Marie se leva avec grâce, lui offrit