La vengeance d'isabeau
une révérence radieuse, puis sortit de la pièce aussi silencieusement qu’elle était entrée.
Huc n’eut pas le temps de déprécier la froidure crasseuse du cachot. Deux de ses anciens compagnons d’armes le vinrent chercher et le conduisirent jusqu’à ses appartements, insistant sur le fait qu’il devait au plus tôt rassembler ses affaires ; François de Chazeron voulait le voir.
À peine Huc entré dans le cabinet, François lui tendit deux missives et annonça froidement :
— J’ai décidé de te faire grâce. Ton épouse est à Paris, rejoins-la et confie-lui ceci. Tu trouveras sur ce pli l’adresse d’Isabeau. Tu vas t’écarter de ma route, Huc de la Faye, définitivement. Par ce document que tu vas me signer, tu m’abandonnes tes forêts de même que ton titre.
— De quoi vivrai-je ? lança ironiquement Huc.
— Tu vivras, n’est-ce point assez déjà ? Il me faut réparation pour ta conduite. Signe !
Huc serra les poings, un instant rebelle à l’idée de voir tomber ce qui lui restait de ses ancêtres entre ces mains indignes, puis se décida, aidé par cette petite voix en sa mémoire, celle de Marie qui l’incitait à la soumission. Certain soudain que la jouvencelle avait sa manigance, il abdiqua son titre et sa maigre fortune sous l’œil narquois de François de Chazeron.
— Tu pars sur l’heure. Voici ta solde, elle sera suffisante pour ton voyage. Nous sommes quittes, mais ne remets jamais les pieds en ce pays. Si j’y surprenais seulement l’un des tiens, vous seriez abattus comme des loups malfaisants. Suis-je assez clair ?
— Je m’en souviendrai, n’ayez crainte !
— Je n’ai jamais eu aucune crainte te concernant, prévôt. Tu es l’être le plus misérablement guavashé que je connaisse. Tu vas rejoindre les pouilleux de ton espèce en cour des Miracles. Et pardieu, cette perspective me sied autrement que ta mort.
— Suis-je libre ? demanda encore Huc, rageur derrière sa feinte indifférence.
— Tu l’es. Au plaisir de ta déchéance, mon ami.
Huc ne répliqua pas. Il jeta sur son épaule son maigre balluchon et, déterminé, sortit sans refermer la porte.
Comme il franchissait le porche de l’écurie pour faire seller son cheval, il trouva la pièce vide de valets, mais l’animal paré. Il s’apprêtait à monter en selle lorsque la voix de Marie surgit, fine et légère, d’un recoin sombre :
— Ne te retourne pas, Huc, il te surveille mais ne peut m’entendre. Trace ton chemin par des voies détournées car je n’ai nulle confiance en sa parole. Il pourrait bien envoyer ses hommes sur tes pas. Va, et ne te soucie que de toi. Dis seulement à tante Albérie que je n’avais pas le choix. Elle comprendra. Adieu, messire Huc.
Huc poussa sa monture, le cœur serré. Comme il passait dans la cour, Marie se détacha de l’ombre et lui sourit. Il la salua d’un léger signe de tête avant de s’élancer au trot hors des murs de Vollore.
Elle attendit quelques minutes pour laisser le temps à l’espion de Chazeron d’aller faire son rapport, puis sortit en sifflotant. Lorsqu’elle croisa le valet d’écurie qui, sa mission achevée, s’en revenait en claudiquant selon son habitude, elle lui offrit son plus gracieux minois qu’elle assortit d’un léger :
— Belle soirée, n’est-il pas ?
Mais au lieu de répondre, il baissa la tête sur sa délation et allongea le pas, comme s’il avait honte soudain d’avoir répété ce qu’il avait ouï. Marie n’insista pas. À Paris, il aurait été son ami, ici, il n’était qu’un esclave de plus, bienveillant envers le maître qui lui donnait du travail malgré sa boiterie. Et de fait, sans le savoir, il la servait aussi, en renforçant auprès de François l’opinion qu’elle voulait qu’il ait d’elle.
10
Ils mangèrent en silence, face à face dans la grande salle de réception, chacun à un bout de la table longue et massive, se jaugeant du coin de l’œil. Marie déploya tout l’art qu’elle avait appris d’Isabeau, et mania avec aisance les couverts. François de Chazeron ne pouvait s’empêcher, malgré son excitation pour leur expédition, de l’admirer. Savamment mise en valeur par sa robe grenat, sa longue chevelure domptée par un chaperon dont les oreillettes de satin étaient ornées de perles, elle était en tous points différente de celle qu’il avait enlevée trois semaines auparavant. Elle était à Vollore
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