La vengeance d'isabeau
voyage et y rajouter une bague à cachet au sceau des Chazeron. Comme ils finissaient leur besogne, le coq chanta dans la basse-cour.
— Je dois partir, avant que le palefrenier soit aux écuries et s’aperçoive du subterfuge.
— Oui, grommela Marie avec un pâle sourire.
Elle était triste soudain. Ce castel qui n’était pas le sien la renvoyait à une solitude inaccoutumée. Jean s’en troubla davantage. Leurs regards s’accrochèrent et il laissa ses doigts ramasser une mèche noire qui s’était esquivée de son chaperon durant leur course.
— Dans quelques semaines, un courrier au sceau de Chazeron te rappellera à Paris. Ne retourne pas dans les souterrains. Plus tard seulement.
— Je serai patiente. Pour tout à l’heure…
— Chut, glissa-t-il, son doigt retenant les mots sur sa bouche souple. L’amour et le désir sont deux émois bien distincts, Marie. Ne tente pas le pécheur que je suis. Nous nous perdrions l’un et l’autre.
Il se pencha sur son souffle et ébaucha un baiser léger sur ses lèvres, puis s’effaça pour sortir de la pièce.
— Jean, l’arrêta Marie, une bouffée d’indépendance au cœur, dis à Isabeau que je ne suis pas ma mère. Personne, jamais, ne commandera mon destin.
Jean se retourna et la dévisagea gravement. Son menton relevé offrait un défi à ses larmes et à sa soudaine détresse. Il lâcha son sac et avança une main fébrile. Elle se retrouva dans ses bras aussi soudainement qu’il en avait éprouvé le besoin. Marie chavira dans ce baiser impérieux et sensuel qui révélait en son corps la sauvageonne au sang des louves. Puis il la repoussa avec la même détermination.
— Ton destin est en marche, Marie. Es-tu sûre de le contrôler jamais ?
Il ramassa son bagage et s’échappa, alors qu’un arceau de vapeurs rosées embrasait le ciel derrière la croisée.
Marie lui emboîta le pas jusqu’à l’écurie, tremblante d’une fièvre insoupçonnée. Elle s’apaisa de le voir enfourcher le cheval de François comme le palefrenier paraissait en ébouriffant sa chevelure aussi flamboyante et rêche que le crin. Son capuchon sur les sourcils, Jean s’avança jusqu’au pont-levis, le passa sans encombre, en prenant soin que l’on remarquât son sac de voyage, puis lança sa monture sur la voie, le corps ardent et l’esprit brouillé.
Au palefrenier qui l’avait rejointe et regardait partir son maître d’un air dubitatif qu’augmentaient un bâillement sonore et un grattage approfondi de sa crinière pouilleuse, Marie affirma, agacée :
— Voilà donc mon père ! Il m’entraîne en ce lieu, aboie des ordres, renvoie ses gens, me fait courir les champs de nuitée pour me délimiter ses terres et s’en retourne à Paris avant qu’il soit jour. Existe-t-il personnage plus imprévisible, impertinent et saugrenu en ce monde ?
— Pour vrai, damoiselle, approuva le simplet, une expression de totale incompréhension sur ses traits, autant pour le langage de la fille que pour l’attitude du maître.
Il se moquait bien de ses bizarreries et n’en retenait qu’une pour son fait. Chazeron lui avait promis deux sols pour espionner Marie et, lui parti, sa bourse restait vide. Marie le laissa à ses réflexions dont elle n’entendait rien et s’en retourna au château. Le jour s’était levé et du givre accrochait une mousseline blanche sur les feuilles qui jonchaient le sol. Elle frissonna.
À l’intérieur de la salle commune, des servantes s’activaient déjà, portant des pots de lait sur la table.
Remarquant sa mine défaite, l’une d’elles lui en versa un godet et le lui tendit au moment où Bénédicte entrait. L’intendante avisa sa tenue froissée et sa coiffe désordonnée. Elle leva les bras au ciel en grommelant :
— Par tous les saints, d’où revenez-vous en pareil équipage ? Que va dire messire votre père ?
Marie bâilla. Elle était épuisée soudain. Elle traversa la salle et se planta devant elle.
— Mon père est retourné à Paris se rendre à sa fonction. Il semble qu’elle soit à ses yeux plus importante que sa fille…
— Mais il m’avait dressé une liste hier encore des réceptions à donner… protesta Bénédicte sans comprendre.
— Oubliez-les, ma bonne, affirma Marie en bâillant encore, comme je vais oublier les promesses qu’il me fit en me ramenant ici. Il semble que mon père soit aussi imprévisible qu’indélicat. Il m’a chargé de
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