La vengeance d'isabeau
Languedoc, plus elle appréciait la bonhomie de ces gens, la richesse des paysages et de leur tempérament.
François I er protégeait les arts comme il vénérait les femmes. Il avait offert à l’université de Toulouse le privilège de créer chevaliers les agrégés parvenus au degré doctoral. À Narbonne, il s’entretint longuement au sujet des ruines de nombreux monuments dispersés çà et là, et ordonna qu’elles soient utilisées pour border les portes de la ville dont les remparts devaient être renforcés.
Mais c’est de Nîmes que Marie conserva le plus éclatant souvenir. Ils y séjournèrent une semaine durant laquelle le roi imposa qu’on démolisse les habitations qui avaient empiété sur les ruines des arènes romaines.
Lorsque cela fut fait, la cour se réunit devant la Maison carrée et le roi imposa silence. Au moment où il s’agenouillait pour épousseter d’antiques inscriptions un homme à la barbe brune et au visage gaillard s’avança derrière lui et d’un timbre haut récita :
— Dans la guerre ou la paix le bien d’autrui respecteras. Ainsi parmi les dieux, grand roi tu resteras.
Le roi se retourna et sourit à celui qui troublait son recueillement.
— Ces lettres t’ont parlé, mon ami, comme ellesparlent à ton roi.
— C’est parce qu’elles vous attendaient, Sire, tout comme moi, affirma-t-il en se courbant.
— Et qui es-tu donc pour t’octroyer ce privilège ?
— Celui que le destin vous envoie et que vous êtes venu chercher.
Le roi éclata d’un rire clair devant ce mystérieux personnage qui semblait se moquer de sa prestance. Puis il se tourna vers sa cour et le présenta :
— Mes amis, voici celui que ma défunte mère redouta sitôt qu’il eut prédit le passage d’une comète amenant son trépas. Maître Nostradamus, astrologue de son état.
Comme Marie s’étourdissait de surprise, le regard de Michel de Nostre-Dame accrocha le sien. Une vague de tendresse l’envahit. Il était tel que son père l’avait décrit et, en un éclair, elle eut le sentiment qu’il la reconnaissait entre toutes. Comme pour lui donner raison, d’un léger signe de tête assorti d’un sourire malicieux, Nostradamus la salua, puis emboîta le pas au roi.
François I er se réserva toute l’attention de l’astrologue et Marie ne put converser avec ce dernier quequelques heures avant leur départ. Elle désespérait delui dire sa reconnaissance lorsqu’il se glissa jusqu’àelle et l’entraîna par le bras, faisant d’elle, une fois encore, le centre de tous les commérages.
— Avez-vous rencontré celui que l’on surnomme Paracelse ? lui demanda Michel sans préambule.
— Il vous tient en grande amitié, autant que sa fille, répondit Marie, par crainte d’oreilles indiscrètes trop à portée.
Michel se laissa gagner par un large sourire.
— Bien, bien, dit-il. Les choses sont ce qu’elles doivent être. Le roi m’a rapporté votre exploit, continua-t-il. Conseillez-lui d’offrir ce lion qu’il ne se résout pas à renvoyer à Paris. Il deviendrait embarrassant très vite, chère petite. Les rumeurs s’éteignent dès lors que leur objet s’oublie.
Marie tiqua. C’était là très exactement son sentiment. Pas plus tard que la veille, le fauve s’était agité dans sa cage et l’on était venu la quérir pour le calmer. Elle avait refusé, disant qu’elle n’entendait rien à ce pouvoir qu’on lui prêtait et qu’il suffirait sans doute de cesser de l’exposer aux agacements de la foule pour qu’il s’apaise. Question de bon sens, avait-elle ajouté.
— Je m’y emploierai, maître.
Nostradamus s’amusa de sa déférence, puis ajouta :
— Prenez garde à vous, Marie. Je savais que je vous verrais là et c’est la deuxième raison de ma visite. De graves dangers vous attendent, dont l’audace et la raison seules vous protégeront. L’amour aussi, si vous savez faire le bon choix.
— Quel est-il, maître ? demanda Marie, troublée.
— Hélas, ma vision ne dit pas tout. Par affection pour mon ami, je devais vous avertir de celle-ci. Elle est une énigme pour moi comme pour vous. Entendez et méditez-la : « Par l’ignorance des louves, un grand roi se pleurera. » Je vous laisse à votre destin. Saluez votre père pour moi. Je ne le reverrai pas.
Il leva la main tremblante de Marie jusqu’à ses lèvres et y déposa un baiser tendre, puis tourna les talons et
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