La vengeance d'isabeau
J’ai cru que tu étais revenue pour moi, souffla-t-il. Fallait-il que je sois idiot !
— Pourquoi dis-tu cela ? Calvin ment, je te l’assure. J’ai entendu le roi. Il est ennuyé et sincère. Je peux être utile, servir la Réforme comme auparavant. N’étais-je pas la première à jurer, à blasphémer, à outrager la Vierge et les prélats ? Toi, tu me connais, Constant. Ai-je changé tant que cela ?
— Et plus encore, Marie, ragea-t-il. Autrefois, tu ne me mentais pas !
— Je ne comprends pas, commença-t-elle sans trouver les mots pour continuer.
Il ricana et se releva d’une pirouette. Il s’approcha d’elle, rageur, et se pencha au-dessus de son front, accrochant ses ongles aux griffures du temps dans la pierre.
— Non, tu ne comprends pas, Marie. Où étais-tu quand mon père te réclamait avant de mourir ? Que faisais-tu tandis que je lui assurais qu’ensemble nous serions à ses côtés le jour de Noël ? Qu’il nous marierait ainsi qu’il en avait rêvé ? Que tu le gâterais de beaux et grands petits-enfants ? Ces enfants que tu m’as refusés, Marie. Ces enfants qu’à un autre tu as donnés !
Il s’accroupit devant elle, les yeux emplis d’une fureur tenace. Elle aurait voulu nier, lui demander comment il savait, mais il ne lui en laissa pas le temps.
— As-tu oublié qui nous sommes, Marie ? Au roi des fous tout est dit, rien ne se tait. Ton exploit t’a précédée. Il n’est pas un drôle à Paris qui ne mime ce « ventre » dont le roi se rengorge. Un ventre de Marie qu’on peut sanctifier. Tu vois, même ce prénom dans leur bouche est devenu une injure. Sais-tu comment l’on te surnomme ? La vierge aux triplés ! J’en ai ri. À gorge déployée. Jusqu’à ce que j’apprenne que c’était toi que je moquais. Toi. Qui m’avais trahi.
— Ce ne sont pas des triplés, murmura-t-elle comme si cela pouvait avoir une quelconque importance.
— Oui, je sais. L’enfant, le monstre sacrifié. Ta grand-mère en son temps m’a raconté. Elle a simplement omis le reste. À la mort de mon père, j’ai pensé devenir fou de solitude, de rancœur. Je n’aurais jamais cru que je t’aimais autant.
Il pressa sa bouche dans ses cheveux avec une rage amère, glissant dans son oreille :
— Quand je t’ai vue sur la tombe, j’ai failli tout oublier, tout pardonner, parce que tu étais revenue. Ton regard, ta main sur ma joue comme avant. J’ai cru un instant. J’ai voulu croire que ce n’était qu’une farce. Une simple farce dont j’aurais fait les frais. Mais non, n’est-ce pas ?
Les lèvres glissèrent jusqu’à son cou, brutales, sauvages d’orgueil bafoué autant que de désir. Marie ne chercha pas à le repousser. Il écarta brutalement les lacets du corsage et s’empara de sa poitrine menue en gémissant :
— Dis-moi, dis-moi qu’il t’a violée, qu’il t’a trahie de même qu’il m’a trahi. Dis-le-moi, Marie, dis-le… supplia-t-il en cherchant sa bouche.
Mais le regard qu’il rencontra lui poignarda le cœur. Marie demandait seulement pardon.
— Tu as raison. Je t’ai trahi et je l’ai forcée.
Jean venait de surgir sur la coursive. Il avait mis du temps à les retrouver et était encore essoufflé.
— Tu arrives trop tard, Jean, grogna Constant que l’aveu silencieux de Marie avait pétrifié.
— Je t’assure… insista Jean en s’approchant, mais Constant tira sa dague et se releva vivement.
— Ne te mêle pas de ça, tu entends. Tu en as assez fait !
— Laisse-la partir et réglons ce différend entre hommes, demanda Jean en reculant prudemment. Juste toi et moi.
— Non ! Intervint Marie en se redressant.
D’une main, elle s’accrocha au pourpoint de Constant, mais celui-ci la repoussa.
— C’est lui que tu es venu rejoindre, n’est-ce pas ? Gronda-t-il. C’est tout à l’heure que j’ai compris. À sa main sur toi.
— Non, Constant. Je te le jure. Tu es le seul. Le seul que j’aie aimé. Le seul que j’aimerai jamais. Ça s’est passé la veille de votre arrivée à Vollore. J’étais terrorisée. Je ne… Oh ! Constant, j’aurais tellement voulu que ce soit toi, gémit-elle dans un sanglot.
Il parut décontenancé un moment, l’arme lui glissa des doigts, écorchant la pierre. Il ferma les yeux puis les rouvrit, amer.
— Mais tu n’as rien dit, Marie. Rien ! Tu m’as laissé partir. Pour pouvoir mettre ses enfants au monde.
—
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