La véritable histoire d'Ernesto Guevara
l’éloigna quand même des combats. Il était à Pinar del Rio, à l’ouest de l’île, posté dans des grottes, « prêt à repousser l’assaut s’il arrivait par là », pour reprendre les termes de Cormier, un des biographes les plus flagorneurs envers le Che.
Le 26 novembre 1959, Guevara devient président de la Banque nationale. L’incompétence de Guevara dans ce domaine est telle que cette nomination est considérée dans une bonne partie de l’île comme une plaisanterie. Diverses versions circulent sur les circonstances dans lesquelles il a été nommé. La plus connue est que Castro demande lors d’une réunion qui est économiste. La tête ailleurs, le Che entend « Y a-t-il un communiste parmi vous ? » et lève le doigt. Ainsi sera-t-il nommé directeur de la banque nationale de Cuba…
En fait, il poursuit ses entretiens, ses conférences et ses discours comme avant. Persuadé que la mise sur pied d’une industrie est d’abord l’effet de la volonté, il incite les ouvriers à des baisses de salaires « volontaires » et lui, l’interprète des aspirations les plus profondes du peuple, peut affirmer que « ce sont les travailleurs libres réunis en congrès syndical qui ont décidé à l’unanimité de retirer 4 % de leur salaire pour contribuer à l’industrialisation du pays ».
Une industrie autosuffisante
Guevara rêvait de jeter « les premières bases de la grande industrie sidérurgique qui serait probablement installée dans l’Oriente et qui, en cinq ans, permettrait à la nation cubaine d’être autosuffisante dans ce domaine 87 ».
Ces projets d’autosuffisance n’étaient pas pour plaire aux Soviétiques et ils les freinèrent dans la mesure du possible. Khrouchtchev appela le rêveur à la réflexion : un complexe sidérurgique était-il si utile ? Le Che insista : « Si nous avons l’usine, nous formerons des cadres. Nous achèterons du minerai de fer au Mexique. »
Déconcertant, il reconnaissait ses erreurs et répliqua froidement à un interlocuteur qui y faisait allusion que « s’il les racontait toutes, on en aurait pour dix jours » et qu’il ne renonçait pas pour autant à ses objectifs d’industrialisation accélérée 88 .
Des erreurs, il y en eut, en effet, mais c’est toute la stratégie, tirée directement de la vulgate marxiste soviétique, qui était discutable pour développer le pays : industrialisation et diversification à marche forcée.
L’indépendance politique véritable n’ayant pas cours sans indépendance économique, le projet stratégique du Che était de ne plus dépendre de rien ni personne. L’économie de guerre prolongée, en somme 89 . Il s’opposa aux augmentations de salaires « parce qu’elles ne produisent que de l’inflation et qu’elles ne permettent pas de créer des emplois », comme il l’expliqua dans un discours du 14 juin 1960, dénonça la trop forte consommation des Cubains, et poussa à l’étatisation de tout le système bancaire. Naturellement, l’accueil fait à ces annonces ne fut pas bon. Mais qu’importait à l’Argentin ? « Se moquant de se faire comprendre ou non, ne se donnant pas les moyens de gagner les « masses » à ses vues comme le font les politiciens 90 », il avançait vers la Terre promise.
Guevara, bien que bridé, éloigné, surveillé, eut suffisamment de responsabilités pour contribuer à briser la machine économique cubaine. Mais il n’était pas seul responsable. Castro, qui surveillait de près ses initiatives, ne s’est jamais trop préoccupé, au moins jusqu’en 1964-1965, de sa politique économique. Il est vrai que le n° 1 cubain n’a jamais jugé que le bien-être de la population cubaine était un objectif essentiel. Il laissa donc faire, tout en gardant un œil sur les activités multiples, débordantes, dispersées et à l’utilité discutable, du Che : le 8 mai 1961, il aidait à décharger des matières premières arrivées par bateau ! Le lendemain, il prononçait un discours pour le départ d’une délégation du Nord-Vietnam et discutait avec les Soviétiques sur l’exploitation du nickel 91 » ; le 12, il présidait un repas offert à une délégation yougoslave en visite dans l’île…
Claire indication de sa mise à l’écart politique : le jour où se constitue, en mars 1962, la Direction nationale des ORI (Organisations révolutionnaires intégrées), qui constituent une étape vers le PURS
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