La véritable histoire d'Ernesto Guevara
siècle est un siècle « décadent et pourri 129 », c’est « l’homme du xxi e siècle que nous devons créer », un homme qui chantera « avec la voix du peuple ».
Le sacrifice à chaque instant
Guevara, croyant à la vertu de l’exemple, refusait donc son salaire de président de la Banque nationale et acceptait seulement les 250 dollars de sa solde de commandant. Il obligeait sa femme à renvoyer des chaussures italiennes que lui avait offerte Célia Sanchez, à remettre en place des lampes décoratives qu’elle avait conservées d’un ancien appartement ou refusait qu’elle utilise une voiture de fonction pour emmener rapidement leur enfant malade à l’hôpital. Elle devait prendre le bus « comme tout le monde ». Il pouvait lui donner une leçon indigeste sur l’essence qui appartenait au peuple et devait être utilisée pour des raisons de service et non pour son usage personnel.
Guevara cachait sous cette apparente générosité envers le Peuple – avec un P majuscule, et qu’on ne voit jamais – une étrange dureté avec lui-même et les autres – qu’on côtoie tous les jours.
C’était un cérébral, se délassant en se plongeant dans les mathématiques ou en jouant aux échecs, un froid dans cette île de Cuba dont tous les Occidentaux louaient le rythme, la chaleur, la beauté des corps, etc. Il n’aimait pas la plage. Il n’aimait pas danser. Il était indifférent au cha-cha-cha et à la rumba. Seuls les tangos trouvaient grâce à ses yeux. Ce Cubain d’adoption ne buvait ni café ni rhum, ne trouvait pas de plaisir à manger du porc avec du riz et des haricots noirs. Seul le bifteck le séduisait. Dans la guérilla, il ne tolérait aucune plaisanterie et sanctionnait impitoyablement tout écart.
Symbiose mère-fils
Hors sa mère, aima-t-il vraiment quelqu’un ? Entre le Che et elle, un lien fort existait, une symbiose même. Lors de son enterrement à elle, la présence du Che par un portrait sur son cercueil laissa penser à ses autres enfants qu’elle n’avait jamais eu qu’un fils unique… Elle mourra pendant son combat avorté au Congo en 1965 et les dernières lettres échangées témoignent de leur intimité en même temps qu’elles sont comme une fenêtre ouverte sur le domaine obscur des rapports du Che avec Fidel : « Je ne vais pas utiliser de langage diplomatique, lui écrit-elle. J’irai droit au but. Cela me semble une véritable folie qu’avec si peu de têtes capables à Cuba d’organiser les choses, tu ailles couper la canne pendant un mois alors qu’il y a tant de si bons coupeurs de canne dans la population… Si, après ce mois, tu vas t’occuper de la direction d’une usine […], il me semble que la folie devient même absurdité »… Et de lui donner le conseil d’aller voir ailleurs – signe de ce que les conflits sur place sont graves à ses yeux : « Si toutes les voies te sont barrées à Cuba, quelle qu’en soit la raison, il y a à Alger un M. Ben Bella qui apprécierait ton organisation de l’économie ou tes conseils sur cette organisation ; ou un M. N’Krumah au Ghana qui apprécierait la même aide… »
La mère s’affirmait socialiste et, si elle avait des réserves sur Castro et sa manière de s’imposer à son fils, elle défendait l’île et sa lutte contre l’emprise américaine sur l’ensemble de l’Amérique du Sud. Cette mère manquait pourtant de tendresse et Guevara se tournait vers Aleida pour se laisser materner, habiller, baigner. Comment l’imaginer de la part d’un héros si dur ? Il le faut cependant 130 .
Son camp à lui
Guevara instaura très rapidement, en octobre 1959, le système des samedis (et dimanches !) rouges, c’est-à-dire le travail volontaire, et il commença à couper lui-même la canne à sucre. Le but était d’endurcir et de s’endurcir, de partager l’effort, mais aussi, dans une première approximation du communisme, de faire des intellectuels des manuels, et des étudiants des paysans. Moyennant quoi, avec la faible productivité des nouveaux venus, les coûts de transports pouvaient dépasser les gains produits et l’augmentation quantitative ne pas compenser la désorganisation des activités ponctionnées. Mais c’était des considérations propres à un monde et à un homme anciens…
Il faisait la chasse à ceux de ses subordonnés qui circulaient dans des voitures trop voyantes. Il lui arrivait d’enfermer ses gardes du corps dans
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