La véritable histoire d'Ernesto Guevara
droit au but et commençait par leur annoncer qu’ils devaient se considérer comme déjà morts. Tout était dit. On luttait pour l’avenir, on se sacrifiait, on était prêt à donner sa vie pour la Cause. « La mort est la seule certitude dans ce projet. Certains d’entre vous peuvent survivre, mais chacun devrait considérer que ce qui lui reste de vie, c’est du surplus imprévu… »
Il visait par là une optimisation au maximum des forces combattantes : pour vaincre, il faut ne pas être retenu par la crainte de la mort. La révolution ne peut être accomplie que par la collectivité des révolutionnaires, laquelle demande la renonciation à toute visée individuelle. Mais il manifestait aussi par là une vision du monde totalement fermée aux droits de l’homme et à toute particularité, à tout objectif propre de chacun d’entre nous, au profit d’une lutte à la vie à la mort où l’individu se fondait dans une machine de guerre.
Le Che envoya ainsi à la mort un certain nombre de jeunes gens de valeur, persuadé qu’ils avaient des chances de réussir et que, s’ils réussissaient, ils construiraient une société libératrice puisque opposée à l’impérialisme.
Il envoya son ami Patojo au Guatemala, qui y perdit la vie. Commentaire tranquille de Guevara : « Une fois de plus, le sang de la jeunesse a fertilisé les champs des Amériques pour rendre possible la liberté. »
Il envoya Masetti et ses compagnons en Argentine. Ils y moururent. Sans doute, Jorge Masetti était-il un demi-fou dont toute l’entreprise fut marquée par la paranoïa : schéma décidé d’avance, interprétation de tout événement dans un sens favorable au projet, absence totale de souplesse tactique. Même la victoire d’un candidat de centre gauche aux élections présidentielles ne le fit pas renoncer à l’entreprise. Là où il fallait voir un obstacle important (on prône moins légitimement la lutte armée contre une démocratie que contre une dictature), Guevara voyait simplement la preuve que la classe au pouvoir était divisée et que cette division était profitable aux guérilleros. La pauvreté de sa pensée, son schématisme, ses catégories figées fournirent la garantie d’appréciations grossières, approximatives et, au bout du compte, de l’échec.
Cette guérilla argentine, à laquelle tenait tant Guevara, qui rêvait de prendre un jour le pouvoir sous les yeux de sa maman, fut un désastre. Il faut dire que Guevara avait trouvé la caricature de lui-même en termes d’exigences, de rigidité, d’absence d’humanité. Masetti fit liquider d’une balle dans la tête deux jeunes gens qui traînaient les pieds… Il suspendit les opérations le temps de connaître l’analyse que ses camarades urbains faisaient de la situation, puis, avant même de la connaître, décida de les reprendre. Las de tourner en rond sans nécessité ni ennemi à se mettre sous la dent, il écrivit au président de la République, lui demandant de rompre avec son entourage gangrené par l’esprit bourgeois, et présentait l’armée de la guérilla du peuple avant de terminer par un « Revolución o muerte ».
Il eut la mort.
« Tarzan » au Congo ?
Les tentatives en Amérique latine échouant ou s’enlisant les unes après les autres, une idée nouvelle s’imposa alors à La Havane : la promotion de l’Afrique au rang de terre de promesses révolutionnaires. Alors que les échecs se multipliaient en Amérique latine, que les difficultés en tout cas s’accumulaient, obligeant à repousser dans un avenir plus lointain l’éclosion de révolutions toujours jugées inéluctables, ce « constat » des potentialités africaines pouvait paraître trop opportun et finalement suspect. Guevara n’en fut pas troublé, l’essentiel étant pour lui ailleurs, dans la volonté de réussir et l’aptitude au sacrifice suprême des combattants. Mais, pour Castro, les avantages géostratégiques étaient clairs : avec l’Afrique, on ne provoquerait pas les États-Unis à quelques encablures de leurs côtes, les luttes anticolonialistes bénéficieraient d’un vrai soutien de l’opinion publique internationale.
Sur le terrain, les données étaient moins encourageantes : lors d’un voyage préparatoire, Guevara comprit rapidement que le mouvement congolais était très divisé. Les leaders avec lesquels il partageait pourtant les mêmes vues anti-impérialistes n’étaient pas vraiment
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