La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
charrettes, ponts et remparts, maisons et palais. Cette peinture de genre, où la
technique est plus appréciée que l’inspiration,
où l’effet décoratif importe plus que la signification poétique, est bien la plus répandue aux XII e et XIII e siècles. C’est elle qui jouit, en dehors
même de l’Académie, du plus large succès. On
la rencontre aussi bien chez les familles lettrées
qui font collection d’œuvres d’art que chez les
marchands parvenus : ces derniers décorent
leurs demeures et même leurs boutiques de
peintures à la mode et de calligraphies ; les
familles riches entretiennent à domicile des
peintres de profession spécialisés dans la représentation des orchidées. Il va sans dire que, sidans la peinture de genre qui fait fureur à
l’époque il existe de vrais chefs-d’œuvre, la
passion indiscrète des riches collectionneurs et
la vanité des parvenus se contentent le plus souvent d’une peinture sans âme et sans signification profonde.
Cependant, la passion des collections, si
répandue dans les classes riches – rappelons que
tout est objet de collection, non seulement les
peintures et les calligraphies, mais aussi les
pierres étranges, les jades et les vases antiques,
les stèles anciennes antérieures à l’ère chrétienne 33 ... –, devait avoir des effets salutaires :
elle a développé le sens critique chez beaucoup
d’amateurs cultivés. Certains se plaignent des
attributions abusives de tableaux sans valeur à
des peintres célèbres et savent reconnaître à leur
facture les œuvres des maîtres et des écoles de la
peinture ancienne. Malgré la pratique si générale
des copies d’œuvres célèbres, l’idée que chaque
grand artiste est doué d’une personnalité particulière se fait jour.
Suivant les exigences de l’époque, les peintures de fleurs, d’animaux, et plus encore celles
de paysages, doivent fixer et évoquer l’atmosphère d’un instant précis, chercher à rendre la
qualité de l’air et même, pourrait-on dire, sa température. C’est en particulier à l’exactitude de
cette notation qu’on reconnaît une bonne peinture. Un écrivain rapporte l’anecdote suivante :un amateur avait acquis une œuvre ancienne
représentant des pivoines et un chat. Cependant,
il doutait qu’elle eût une réelle valeur quand, un
jour, l’un de ses proches s’écria à la vue de cette
peinture : « Mais ce sont là des pivoines à midi
juste ! — A quoi vois-tu cela ? — Les pétales
sont étalés, et leur teinte est mate. D’autre part,
les pupilles du chat sont comme un fil : deux
indices qui prouvent qu’il est midi 34 . »
La peinture de genre à fins décoratives a provoqué d’autre part une réaction : les œuvres réalistes mais sans inspiration et sans vie sont
condamnées catégoriquement dans certains
milieux de puristes raffinés chez lesquels se
développe au contraire une peinture d’un style
entièrement nouveau. La simplification et le
dépouillement y sont poussés à l’extrême ;
quelques traits suffisent à évoquer un paysage
grandiose dont les lointains se perdent dans la
brume. L’essentiel pour les peintres les plus exigeants de l’époque est de saisir l’âme des choses
par une intuition analogue à celle du mystique et
de savoir donner aux paysages une profondeur
spirituelle. La représentation des paysages s’est
laïcisée en même temps qu’elle s’enrichissait de
préoccupations philosophiques : celles-là mêmes
que l’on retrouve chez les penseurs de l’époque.
Ce ne sont plus des sites célèbres, séjours
d’Immortels, qui servent de sujets aux grands
peintres de l’époque Song, mais la nature mêmedans sa généralité. Que ce renouveau puisse être
interprété en partie comme une réaction contre
les formes commercialisées de l’art, on en a la
preuve dans l’horreur que suscite dans la petite
élite des peintres inspirés tout ce qui pourrait
être considéré comme vulgaire 35 .
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1 . Cf. A. S MITH , Village Life in China , 1899 ; J. G ERNET , Aspects économiques du bouddhisme… , Saïgon, 1956.
2 . MLL , XIX, 4, p. 299-300.
3 . MLL , XVI, 1, p. 262.
4 . Dongjing menghua lu , V, 2, p. 29-30 ; Ducheng
jisheng 7, p. 95-98 ; MLL , XIX, 2, p. 298 et XX, 3,
p. 308-310 ; Wulin jiushi , VI, 2, p. 440-441.
5 . R. H. V AN G ULIK , T’ang yin pi shih , p. 82.
6 . MLL , XX, 6, p. 312-313.
7 . MLL , XX, 4,
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