La ville qui n'aimait pas son roi
les fosses. Il devait y avoir un millier d’hommes qui attendaient, arme au pied.
Pourquoi leurs officiers laissaient-ils leurs soldats ainsi? se demanda-t-il en voyant que les barricades s’élevaient dans la rue. Il remarqua alors que les Suisses n’avaient que des mousquets, aucune arquebuse à crocs ou pièce d’artillerie qui auraient pu faire des dégâts énormes sur la foule. De plus en plus préoccupé, il entreprit de faire le tour du cimetière. L’état d’esprit des habitants restait bon enfant et personne ne l’empêcha de passer mais il constata que beaucoup de gens de la haute bourgeoisie, même parmi les plus opposés à la Ligue, avaient rejoint les barricadeurs. Il vit même quelques conseillers au parlement et le procureur général Jacques de La Guesle, cuirassé et casqué.
Se mêlant aux conversations, sans pour autant se découvrir, il entendit beaucoup de protestations contre le roi qui avait
violé le privilège des Parisiens en faisant entrer une armée étrangère en ville – les Suisses –, chose qu’on n’avait jamais
vue ni ouïe à Paris. Les plus échauffés étaient les artisans, les procureurs et les avocats. Les marchands des six corps et
les conseillers aux parlements étaient plus mesurés. Poulain observa aussi les nombreux gentilshommes porteurs d’écharpes
à la croix de Lorraine qui dirigeaient la manœuvre pour barrer les rues. Tout semblait bien préparé et bien ordonné. Derrière
les chaînes, on roulait des muids remplis de pavés et de sable prêts certainement depuis des jours. Ensuite chaque barricade
était laissée à un peloton d’arquebusiers ou de mousquetaires par des tirailleurs postés aux fenêtres des maisons voisines.
Les femmes même entreposaient des pierres et se déclaraient résolues à se défendre jusqu’à la mort.
Nicolas comprit que se rendre au Louvre était vain. Quand l’affrontement éclaterait, il serait plus utile sur place que dans
le palais. Le capuchon toujours rabattu, il se dirigea vers l’Hôtel de Ville. Il put passer facilement les barricades en place,
ou en cours de construction, sauf l’une où on lui demanda un billet et qu’il parvint à contourner. Partout les boutiques et
les échoppes étaient fermées et rembarrées.
Devant l’Hôtel de Ville, les troupes suisses étaient dirigées par le maréchal de Biron et le marquis d’O. Toute tentative
pour y dresser des barricades avait été réduite par des piquiers aidés de la garde bourgeoise, mais on commençait à entendre
des murmures et des paroles séditieuses. Le peuple s’échauffait, d’autant que les soldats sur la place tenaient des propos
menaçants. Poulain les écouta.
— Mettez du linge blanc en vos lits, messieurs, sur le coup de minuit nous irons coucher avec vos femmes en vos maisons, criaient les Suisses les plus paillards.
Il resta un moment et vit une délégation de bourgeois s’approcher des officiers de Biron pour leur demander deretirer les troupes, car l’émotion grandissait dans le peuple. Le marquis d’O frappa affectueusement sur l’épaule d’un des
bourgeois en lui disant :
— Par la mort Dieu, nous sommes trop forts!
À ce refus, la délégation repartit, mais se promenant dans les rues avoisinantes, Nicolas vit avec une inquiétude grandissante
qu’on tirait des poutres et des tonneaux remplis de terre à tous les carrefours. Il revint vers la place de Grève et prévint
un officier de ce qui se préparait.
— Je sais, monsieur. Heureusement ici nous ne risquons rien, mais je crois qu’il sera difficile d’en sortir, répliqua l’homme en grimaçant.
Se sentant inutile, Nicolas poursuivit son chemin vers la rue Saint-Antoine. À partir de là, toutes les rues qui conduisaient
à la Bastille étaient fermées par des chaînes avec un grand barrage de poutres et de fumier devant la rue Saint-Antoine. Aux
fenêtres, des femmes préparaient des pierres et des vases remplis d’huile ou de suif à enflammer.
Il ne put aller plus loin, car on lui demanda un billet ou un passeport, aussi, ayant acheté des oublies à un marchand ambulant,
il revenait vers la place de Grève quand il entendit les fifres et les tambours.
Les troupes semblaient se mettre en marche pour donner l’assaut aux barricades.
Au Louvre, le roi venait d’entendre le nonce du pape, le cardinal Morosini, qu’il considérait comme un ami. Le nonce lui avait
parlé des affrontements dans
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