La ville qui n'aimait pas son roi
l’ancien capitaine des
gardes de Villequier.
Avant de descendre, Poulain lança d’une voix de stentor, pour qu’on l’entende bien :
— Nous quittons Paris maintenant, monsieur. Nous avons terminé de relever les plans des fortifications de la Ligue qui seront ce soir dans les mains du roi!
Ils sortirent de la grande salle avec leur butin et leurs armes enroulés dans des toiles.
— Vous veniez relever des plans? demanda Cubsac.
— Non, mais si l’un de ces pendards survit, c’est ce qu’il racontera à Mme de Montpensier, et la Ligue ne nous recherchera plus!
Dehors, Olivier découvrit Perrine avec stupeur. Immobile, elle était d’une blancheur de marbre et se tordait les mains.
— Comment nous avez-vous trouvés? demanda Olivier à Cubsac.
— Vous pouvez en remercier Perrine, c’est elle qui m’a prévenu. J’étais chez moi avec une rage de dents.
Il tâta sa mâchoire douloureuse.
— Comment saviez-vous, Perrine? demanda Olivier avec un début de méfiance.
— Plus tard! intervint Nicolas. Il faut filer, nous cacher quelque part, ils attendent peut-être des renforts.
— Retrouvons-nous au Roi d’Argot, proposa Cubsac, c’est le seul endroit où on ne nous cherchera pas.
Olivier et Nicolas sautèrent en selle sur des montures des gens de la duchesse, Cubsac reprit Perrine en croupe et ils filèrent
vers la rue Mauconseil.
Le Roi d’Argot était une gargote infâme située dans l’enchevêtrement des ruelles et des culs-de-sac qui s’étendait derrière la rue Mauconseil. C’était un des plus redoutables lieux de Paris, fréquenté surtout par des estafiers, des
drilles, des narquois ou des francs taupins.
Ils laissèrent leurs montures en garde à un ancien soldat ayant un bras en moins, lui promettant un écu d’argent à leur retour,
et pénétrèrent dans le cabaret. On descendait par quelques marches dans une sombre salle voûtée enfumée par des chandelles
de falots de suif. Perrine était terrorisée, n’ayant jamais pénétré dans un endroit pareil. Quand ils se furent habitués à
l’obscurité, ils s’approchèrent d’une table, simples planches posées sur des tonneaux, où se tenaient deux gueux avinés. Nicolas
leur donna une poignée de sols pour qu’ils décampent, puis il commanda du vin à un nain édenté qui assurait le service.
— Perrine, nous vous devons la vie, dit Olivier en poussant un banc pour qu’elle s’assoie.
Tout au long du trajet, il n’avait cessé de penser à elle. Comment avait-elle su où ils étaient? Il ne pouvait s’empêcher de faire le rapprochement avec l’arrestation de son épouse et de Mme Poulain. Avec Nicolas, ils avaient échangé quelques mots à ce sujet, tandis que Cubsac allait devant.
— Non, monsieur, fit-elle, je me suis seulement rachetée.
Une chandelle de suif sur la table éclairait son visage contracté sur lequel de grosses larmes coulaient.
— Je sais que vous me mépriserez, et que vous me chasserez après ce que je vais dire, mais je ne peux plus le garder pour moi, poursuivit-elle en déglutissant.
Olivier secoua négativement la tête.
— Perrine, vous nous avez sauvé la vie, quoi que vous ayez fait, vous êtes déjà pardonnée…
Elle reprit courage et raconta comment Mme de Montpensier l’avait abordée à Saint-Merry, comment elle avait accepté sa proposition
de l’informer du retour de son maître, pour en échange entrer à son service. Elle parla aussi de sa peur d’avoir un maître
hérétique, de sa crainte de l’enfer et de la damnation. Elle en vint ensuite à cettejournée où elle avait dénoncé Marguerite et Cassandre à Louchart. Là, elle ne put continuer tant elle souffrait.
Cubsac était pétrifié. Ainsi tout était vrai! Perrine avait trahi son maître! Machinalement, il faisait rouler entre ses doigts le diamant de Lacroix qu’il avait envisagé de lui offrir.
— Venons-en à ce qui s’est passé aujourd’hui, proposa Poulain d’une voix égale.
— Ce matin, Mme de Montpensier m’a fait appeler à la sortie de la messe…
Elle raconta ce qu’elle avait entendu, sa honte, et comment elle avait décidé d’appeler à l’aide M. de Cubsac pour sauver
son maître.
Quand elle eut fini, Cubsac lui demanda d’une voix dure :
— C’est pour cela que vous ne vouliez pas m’épouser?
— Oui, monsieur, je ne suis pas digne d’un gentilhomme. Je ne suis plus digne de personne.
— Qu’en dis-tu,
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