La ville qui n'aimait pas son roi
préparation de guimauve
mélangée à de l’urine et du miel, remède souverain selon Pline.
Le lendemain, Cubsac avait la face aussi grosse que celle d’un bœuf et souffrait d’une forte fièvre. Son valet connaissait
un médecin qui, après avoir à son tour saigné le malade de douze onces de sang, ordonna des emplâtres et des gargarismes au
poivre et à l’aloès, une pharmacopée préconisée par Hippocrate qui ne pouvait échouer.
Dans la nuit, le Gascon délira et on fit revenir le barbier à la pique du jour. Trouvant M. de Cubsac trop faible, il n’osa
le saigner à nouveau et suggéra d’appeler un chirurgien ou un prêtre. Olivier choisit le chirurgien. Le valet barbier connaissait
vaguement le recteur du collège Saint-Cosme. Il demandait une somme élevée pour arracher une dent, mais assura-t-il, souvent
le malade survivait.
Olivier lui donna l’ordre d’aller le chercher. Ensuite il partit avec Nicolas pour une taverne où, leur avait-on dit la veille,
un jeune homme pouvant être Clément avait fait du tapage en menaçant le roi.
À trois heures, rentrant dans la maison de la Coupe d’Or sans avoir trouvé trace du capitaine Clément, ils entendirent un
hurlement à glacer le sang. Persuadés que les gens de la duchesse avaient retrouvé Cubsac et l’égorgeaient, ils se saisirent
de couteaux dans la cuisine et montèrent quatre à quatre dans sa chambre.
Un barbier chirurgien rondouillard, en robe noire avec ceinture bleue, essayait de calmer M. de Cubsac. Le Gascon, la bouche
et la chemise ensanglantées, était vainement maintenu par son valet.
— Monsieur, si vous êtes incapable de supporter la douleur, je ne peux rien pour vous! criait le barbier très en colère.
Confus, ils posaient leur couteau sur un coffre quand, au bruit, le chirurgien se retourna. Olivier reconnut l’homme à côté
duquel il avait été attablé à la Croix-de-Lorraine avec Caudebec, quand ils se faisaient passer pour des barbiers chirurgiens
venant de Toulouse.
— Pouvez-vous m’aider, messieurs? demanda-t-il en s’apercevant qu’il s’agissait de valets d’après leur livrée. J’ai percé l’abcès mais la maudite dent ne veut pas quitter sa mâchoire!
Il brandissait un déchaussoir sanglant, gros comme un pied de biche, tandis que sur le lit souillé de sang, Cubsac gémissait,
quasiment sans conscience.
Les deux amis avaient déjà aidé des chirurgiens après des combats et ils savaient comment procéder. Ils saisirent chacun un
bras du quarante-cinq pendant que le valet lui introduisait dans la bouche une sorte de poire que lui tendit le chirurgien
afin qu’il garde la mâchoire ouverte. Profitant de l’évanouissement de Cubsac, l’homme de l’art introduisit une grosse pince
et parvint d’un seul coup à extraire la dent sans même arracher les dents voisines ou une partie du palais, ce qui montrait
à quel point il était adroit.
Cubsac poussa un nouveau hurlement avant de retomber dans l’inconsciente.
— La voilà! s’exclama le chirurgien en la montrant fièrement à l’assistance. M. Paré n’aurait pas fait mieux!
Il alla chercher un flacon dans une sacoche en cuir qui contenait ses outils et en vida le contenu sur la plaie, entraînant
un nouveau cri atroce tandis que les trois hommes maintenaient à peine Cubsac qui se tordait de douleur.
— C’est de l’acide d’absinthe mélangé à de la poudre vitriolique, expliqua le chirurgien en examinant son malade avec satisfaction. Un remède irremplaçable recommandé par maître Amboise Paré, mais qui pique un peu si on est douillet. Je ne peux rien faire d’autre, poursuivit-il en s’adressant à Olivier. Avec un peu de chance et des prières, il se remettra dans quelques jours. S’il a mal, vous pouvez lui préparer des gargarismes de vin dans lequel vous aurez fait macérer des graines de pavot…
Brusquement il s’arrêta pour demander :
— Je ne vous ai jamais arraché une dent? Votre visage m’est familier…
Quand il tenait Cubsac pour éviter qu’il ne se débatte, Olivier s’était souvenu que le barbier connaissait le capitaine Clément. Son compagnon, à la Croix-de-Lorraine, avait même affirmé lui avoir arraché des dents. Peut-être savait-il où il était… mais l’interroger serait se découvrir, puisqu’il avait fait croire au barbier qu’il était chirurgien à Toulouse. Comment lui expliquer qu’il était maintenant valet?
Il lui
Weitere Kostenlose Bücher